"J'ai toujours détesté la dance music mécanisée, sa simplicité idiote, les clubs où on la jouait, les gens qui allaient dans ces clubs, les drogues qu'ils prenaient, les trucs dont ils parlaient, les fringues qu'ils portaient, les batailles auxquelles ils se livraient les uns contre les autres. La musique électronique que j'aimais était radicale et différente,je pense à des choses comme White Noise, Xenakis, Suicide, Kraftwerk, les premiers trucs de Cabaret Voltaire, SPK et DAF. Quand cette scène et ces gens se sont fait récupérer par la scène dance/club j'ai eu le sentiment que nous avions perdu la guerre. Je déteste la culture club aussi profondément que tout ce que je peux détester sur Terre."
Ces mots doux sont de la part de Steve Albini, répondant à un mail de Powell qui lui demandait d'utiliser un sample de sa voix dans son nouveau single, "Insomniac", qui vient de sortir sur XL Recordings. Vous avez sans doute suivi l'histoire la semaine dernière : en gros, Steve Albini s'est fendu d'un mail incendiaire démontant de manière péremptoire tout ce qui pouvait avoir de près ou de loin attrait à la club culture, et le label s'est empressé d'acheter un panneau publicitaire reprenant le contenu de l'échange entre Powell et Steve Albini, le jeune anglais ayant au préalable demandé l'autorisation au "maître" américain, ce à quoi ce dernier a répondu : "Je suis contre ce que tu es, je suis un ennemi de là d'où tu viens mais je n'ai pas plus de probème que ça avec ce que tu fais". Une manière comme une autre de dire qu'il n'en avait pas grand chose à foutre.
S'en est suivi toute une pelletée d'éditos de vierges effarouchées sur le net qui oublaient, d'une part, qu'Albini n'en était pas à son premier coup d'éclat contre la dance music et qu'il était donc parfaitement raccord avec lui-même, et d'autre part, à quel point la démarche de Powell était révérencieuse, lui-même vénérant à la fois Albini et les groupes dont il parlait. Mais surtout, ces réactions témoignaient un peu d'un certain état d'esprit très contemporain, où il semblerait qu'une position un tant soit peu tranchée sur la musique électronique soit aujourd'hui presque immédiatement réléguée à une éructation de vieux taré à la ramasse (de notre côté de fans imperturbables de house et de techno, on aurait même plutôt tendance à penser que, bien que pleine de failles et discutable de bien des manières, la diatribe d'Albini est parfaitement recevable lorsqu'on considère un peu l'éthique et l'histoire du bonhomme).
Et c'est en cela que la démarche de Powell, en reprenant les propos d'Albini dans son clip, pose problème et soulève des questions assez intéressantes. On aimerait savoir où le jeune producteur anglais se situe aujourd'hui, lui qui reprend des tirades du Bush Jr. belliqueux-tempête du désert lors de ses Boiler Room, qui sample des discours d'Hitler lorsqu'il joue devant 2500 péquins au Berghain, et qui dit vouloir, de manière un peu maladroite, redonner de la voix et du débat dans la musique électronique aujourd'hui, car "c'est toujours mieux d'avoir cet échange de mail que ma tête sur un panneau publicitaire". Cela rappelle en cela la polémique qui avait entouré Berceuse Heroique et la propension de son boss Kemal d'user d'une imagerie historique choquante, et de la vider (ou non) de sa substance et de sa contextualisation pour l'utiliser à des fins cool et edgy. Certes, on a bien compris que Powell privilégiait l'énergie du discours à son contenu, et que cette même énergie collait parfaitement à l'éraillement de sa musique, mais quand on se réclame de Throbbing Gristle et de Esplendor Geometrico, on se dit que le type qui utilise ces référents ne le fait probablement pas uniquement de manière fonctionnelle.
En attendant, la vidéo d'"Insomniac" est donc finalement arrivée, et elle attestera, au mieux, d'une certaine idée de l'appropriationnisme dans l'art très 2015, au pire, d'une manière de noyer le poisson et de phagocyter tout discours critique sur la musique pour la sacrifier sur l'autel de l'entertainment. Sinon, à part ça, le morceau est patate (comme d'hab' avec Powell), mais la vidéo fait un peu mal aux yeux.
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