Il y a toujours quelque chose de délicat avec les groupes dits "séminaux". Outre le fait que l’expression aux racines anglophones (dans le sens de fondateur, pas de relatif à la semence hein) soit d’une laideur manifeste dans la langue de Molière, elle devient franchement casse-gueule lorsqu’on l’applique à l’un des piliers de la musique industrielle comme Esplendor Geométrico, et ce pour plusieurs raisons. S’il ne fait aucun doute que le duo espagnol possède aujourd’hui une aura qui dépasse les frontières de son seul cercle d’aficionados, la formation demeure tout de même un poil moins identifiée et citée que d’autres modèles du genre, à savoir Throbbing Gristle ou Cabaret Voltaire. Apparu quelques années après ces derniers, Esplendor Geométrico s’est attelé depuis sa conception à brouiller les pistes et les repères stylistiques de manière plus ou moins consciente.
Saverio - Je vis désormais à Rome et Arturo vit à Madrid mais il partira à Shanghai dans quelques mois (il est diplomate). Sincèrement, avec Internet, travailler à distance est assez facile : on s’échange les morceaux et voilà. Généralement, Arturo péprare un morceau et moi je le termine, l’édite, le mix. Par exemple, ces jours-ci on est très actifs : Arturo m’a envoyé deux nouvelles compos et moi je lui en ai envoyé une.
Arturo Lanz, quelle était l’impulsion principale lorsque vous avez créé Esplendor Geométrico, sachant que vous veniez de quitter une formation nettement plus pop dans ses intentions, Aviador Dro ? Étiez-vous alors porté par un idéal de radicalité ?
Arturo - L’impulsion était le besoin de rompre avec l’ambiance festive qui existait à Madrid à l’époque. On avait des racines punks qui ont fortement explosé. On voulait frapper un grand coup.
Vous avez toujours affirmé être un groupe dépourvu de doctrine, était-ce une manière de vous détacher du courant industriel des années 80, que l'on a souvent rattaché à des cercles idéologiques, comme le futurisme, dont vous tirez paradoxalement votre nom ?
Saverio - Honnêtement, non. Ce n’était pas notre intention. On n'a jamais pensé à s’identifier avec ces mouvements (qui sont d'ailleurs très intéressants ! ), ni à s'en détacher consciemment. Le plus futuriste que nous ayons est le nom du groupe, qui provient effectivement titre d’un poème de Filippo Tommaso Marinetti , le fondateur du mouvement futuriste : “ "Splendore Geometrico e Meccanico la Sensibilità Numerica". On a aimé la sonorité du nom même en le traduisant en espagnol. Ce qui est vrai par contre, c’est que dès les premiers instants, on avait très peu en commun avec la scène industrielle.
Peut-on dire alors que c'était un moyen de ramener votre musique à son aspect le plus physique ?
C’est exactement ça. La musique de Esplendor est une musique pour le corps, c’est une musique viscérale, primitive, tribale. Elle n’est pas faite pour le cerveau, la raison, le rationnel, l’idéologie.
À ce titre, l’expérience live est-elle pour vous un moyen de mener à bien, d’explorer plus avant cette idée de physicalité ?
Nous pensons que l’environnement le plus adéquat pour comprendre Esplendor demeure le live. Les disques sont plus faits pour les fans, les live te permettent d’atteindre plus de monde. C’est étonnant la manière dont a changé le panorama musical avec l’irruption du digital : avant, les concerts servaient à la promotion des disques. Aujourd’hui c’est tout le contraire, il faut sortir des disques pour pouvoir continuer à jouer, pour pouvoir dire “on existe”. Il est évident que nous avons un marché très réduit et que probablement les téléchargements illégaux ne nous ont pas affectés à outrance (le fan de Esplendor est un “fétichiste”, il ne veut pas d’un son MP3 de mauvaise qualité) mais ce changement explique pourquoi un fan de Madonna est prêt à payer 100€ pour la voir en direct (peut-être à 100 mètres de distance) mais qu’en revanche il n’est pas prêt à payé 0.99€ pour télécharger un morceau depuis iTunes...
Quelle différence faites-vous entre le processus d’enregistrement en studio et celui de performance live ?
Le live te permet des choses qui ne sont pas possibles en studio, en commençant par le volume et puis les cris. En studio tu es en contrôle, tu domestiques les choses, en live tu livres une "catharsis".
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les termes industriel et Electronic Body Music ? Ne les trouvez-vous pas réducteurs lorsqu’on parle de votre musique désormais ?
On ne suit pas beaucoup le panorama musical et encore moins la scène industrielle. Comme je te l’ai dit Esplendor était un groupe industriel au début et on a très vite pris un chemin plus personnel. On comprend que les étiquettes soient nécessaires : pour les disquaires qui distribuent nos disques, pour les journalistes qui doivent écrire des chroniques de disques et probablement plus encore pour les personnes qui achètent et écoutent de la musique et qui ont le besoin de s’identifier à quelque chose. Donc ça ne nous pose pas plus de problème que ça.
Le public de 2016, en particulier celui des cercles club et techno, semble beaucoup plus réceptif à votre musique que celui du début des années 80. Pensez-vous que cela puisse affecter votre processus créatif d'une manière ou d'une autre ? Aujourd'hui, votre musique semble être plus dans la séduction, et beaucoup moins dans la confrontation qu'avant.
Non, on ne pense pas que cela ait changé notre manière de composer un morceau. Ce qui a changé c’est le public : il y a 36 ans quand Esplendor commençait, on pouvait écouter les Bee Gees dans les clubs, aujourd’hui si tu vas en boîte la musique peut être bien plus extrême. La semaine dernière on a joué au Berghain et la prochaine date est à La Machine du Moulin Rouge : qui l'eut cru? Ce qui est certain, c'est qu'il y a plus de gens aujourd'hui provenant de cercles "expérimentaux" qui sont capables d'apprécier la musique de danse, et vice-versa.
Pour finir, avez-vous un nouvel album en préparation?
Oui, on est dessus. Je ne pourrai pas te dire quand mais sûrement après cet été on en sortira un nouveau. En attendant on a sorti une édition limitée dans un coffret incroyable de 4 vinyles avec une sélection de morceaux des années 90 qui jusqu’à présent n’étaient disponibles qu’en CD.
Esplendor Geométrico sera en concert samedi soir à la Machine du Moulin Rouge. Les infos sont disponibles ici.
remerciements à Anne Radjassamy pour la traduction.
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