Si l'Amérique a Terry Riley, la France a Ariel Kalma. Compositeur précurseur de musique électroacoustique planante, ce saxophoniste qui a commencé sa carrière comme musicien de scène aux côtés d'Adamo, Jacques Higelin ou de Richard Pinhas et qui trainait dans les studios du GRM entre deux voyages transeux en Inde, n'a pourtant pas rencontré le succès d'estime et commercial qu'il méritait. Le retour de flammes autour des pionniers de la musique new age a heureusement forcé le destin à rectifier son tir: les plus grandes de ses oeuvres sont rééditées par des labels aussi prestigieux que RVNG Intl., Wah Wah Records ou Black Sweat, et c'est l'époque toute entière qui semble enfin mesurer l'importance de ses apports à la musique "verticale" - comme si Kalma était finalement, enfin rattrapé par son avant-gardisme. A l'occasion de son retour aux affaires en compagnie du prodige américain Robert Aiki Aubrey Lowe (le magnifique We Know Each Other Somehow, qui vient de paraître chez RVNG Intl.), rencontre avec cet explorateur de la space music qui n'a jamais eu peur de l'inconnu.
Racontez-nous votre parcours, de vos débuts musicaux à votre départ en Australie.
Je suis né à Paris, j'ai commencé la musique par la flûte à bec autour du feu de camp lorsque j'étais boy-scout. Mon frère était guitariste, et il m'a appris la bossa nova, le jazz... ce qui m'a donné envie d'aller plus loin. J'ai donc commencé le saxophone à l'âge de quinze ans en faisant le conservatoire municipal. Mais j'ai vite compris que les notes ne devaient pas être ma manière d'apprendre. En 1983 je suis parti vivre en Australie mais je n'ai jamais cessé de composer.
Composer en coutournant les notes, donc, parlez-nous de votre rapport à l'improvisation.
Je voulais simplement aller vers la création. L'improvisation a toujours été en moi. Lorsque je jouais du blues, j'étais fasciné par le solo. Je pourrais prendre l'image du plongeur qui arrive au bout de la planche et qui doit sauter. Improviser avec mon saxophone c'est ma manière de plonger, de faire le grand saut dans l'inconnu...
C'est cette envie de plonger dans l'inconnu qui vous a conduit vers la musique concrète en approchant Pierre Henry pour l'enregistrement du Temps des Moissons?
Non, Le Temps des Moissons n'a pas été enregistré dans le studio de Pierre Henry. On lit ça sur internet, mais ce n'est pas vrai. Je l'ai enregistré chez moi dans mon petit appartement de Montparnasse, avec deux magneto Revox, une bande qui passait entre les deux pour faire une grande boucle, une pédale wah-wah, un bon micro et des écouteurs. En revanche, j'ai enregistré Osmose dans un studio du GRM. J'avais un ami qui travaillait là-bas comme responsable technique, et il m'a permis d'utiliser un studio vacant pendant une journée.
Mais vous sentiez-vous tout de même proche de la scène concrète française?
Non pas tellement, le seul lien que je pouvais avoir avec eux était mon envie de faire de la recherche. Mais je ne me suis jamais senti proche de cette musique froide que l'on appelle "concrète". Il me faut des émotions, des relations avec l'harmonie. Surtout depuis que j'ai voyagé en Inde, où j'ai découvert la musique "verticale", avec des harmoniques qui sont accordés de façon beaucoup plus riche et complexe que notre musique occidentale, que je qualifierais d'"horizontale". La musique indienne est "élévatoire", elle accompagne un état d'esprit méditatif. Et pour moi, musique et méditation sont indissociables.
Vous diriez donc que votre musique est plus une musique de transe qu'une musique de science?
Absolument. La transe intérieure, qui signifie la méditation, l'élévation de soi, n'a rien à voir avec la musique concrète. J'ai toujours préféré le rock et le jazz aux musiques "sérieuses". Et mon rapport à la transe vient de mes voyages en Inde, qui ont changé ma vie. Avant cela j'avais le sentiment que les gens avec lesquels je jouais, des européens donc, étaient désaccordés. Mais après l'Inde, ces mêmes personnes me disaient que c'était moi qui jouais complètement faux, alors que je me sentais parfaitement accordé! La musique indienne qui est composée de vingt-deux intervalles alors que notre gamme n'en compte que douze, et qui est basée uniquement sur l'improvisation, m'a fait découvrir un monde à la liberté infinie, qui s'adresse au corps, à l'esprit et à l'âme.
Mais si vous vous êtes imprégné de ces musiques primitives indiennes, vous n'avez pourtant jamais cessé de recourir à la technologie, et de l'expérimenter. Est-ce une volonté de votre part d'associer ces deux approches?
J'ai toujours travaillé avec la technologie. C'est une passion, après mon bac j'ai fait des études en électronique. A ma connaissance, personne avant moi n'avait branché une pédale wah-wah sur un saxophone. J'ai voulu mettre la technologie au service de mon jeux d'instrument. Je pense aussi être l'un des premiers à avoir acheté un Pitch to Voltage Converter pour passer de mon micro à un synthétiseur modulaire VCS3, et transférer ainsi le signal audio de mon saxophone dans un synthé. La technologie est essentielle dans mes compositions, la preuve, je viens tout juste d'acquérir un Korg Triton.
Le label new-yorkais RVNG Itl. a sorti l'année dernière un double album compilant une sélection de vos premières compositions ainsi que des inédits, et il a également initié et organisé votre collaboration avec l'artiste Robert Aiki Aubrey Lowe, qui vient de paraître. Pouvez-vous nous raconter cette rencontre?
La spécialité de RVNG Itl., c'est de créer des rencontres inter-générationnelles. Ils mettent en contact deux compositeurs, un jeune et un plus âgé, pour qu'ils composent un album ensemble. Matt, le patron de RVNG, m'a contacté et m'a demandé si ça m'intéressait. J'étais enchanté par cette idée! Robert Lowe, le compositeur avec qui j'ai collaboré vient de la côte Est des Etats Unis, je l'ai donc rejoint là-bas et on a tout de suite eu un très bon feeling. Nous avons des influences communes et le même rapport aux technologies. On a donc très vite commencé à jouer ensemble, il avait son synthétiseur modulaire et moi une flûte, et on a fait un premier morceau que j'ai enregistré à l'aide d'un zoom et qui est désormais sur l'album. Quelques mois après, Robert Lowe est venu en Australie avec Matt et deux caméramans pour filmer nos sessions d'enregistrement. On travaillait tous les jours de 11h du matin à 6h du soir, dans un studio près de la mer, et tout cela s'est tellement bien passé qu'on a décidé de faire un double album.
Et avant cela connaissiez-vous le travail de Robert Lowe? Est-ce que les jeunes compositeurs de la scène électronique et expérimentale vous intéressent?
Non je ne connaissais pas son travail, mais il m'arrive d'écouter les productions de jeunes artistes. Malheureusement, la musique d'aujourd'hui m'intéresse peu. Je n'aime ni ce qui est trop facile ni trop technique. Tout est une question d'équilibre. Même si je compose désormais tous mes morceaux à l'aide d'un ordinateur (je me suis mis à apprendre tous les nouveaux plugins), ma musique n'est pas faite de boucles et de collages désincarnés. Chaque répétition est jouée live, je veux vraiment donner à mes compositions une dimension humaine. Sans cela je ne ressentirais pas d'émotion.
CHez The Drone, on aime beaucoup Charles Cohen, artiste californien de votre génération qui a certains points communs avec vous, excepté le fait qu'il utilise un synthétiseur Buchla au lieu d'un saxophone. En avez-vous entendu parler?
[Ariel, curieux, lance tout de suite un morceau de l'artiste sur Youtube] non je ne connaissais pas... Intéressant! Ah je vois quel est ce genre de musique! J'ai très envie d'explorer ça.
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