Si j'ai les yeux bien en face des trous, The Marriage of True Minds, le huitième album de Matmos, est jusqu'ici le mieux reçu de leur déjà longue carrière. Comme par enchantement, la critique, cet organisme mou que l'opinion publique s'accorde à trouver dans l'ensemble très repoussant, a fait une petite ovation au disque et presque réussi à faire abstraction du mode d'emploi qui l'accompagne (comme pour l'intégralité de leurs disques précédents) voire à le trouver intéressant. Retour d'affection pour le barda de l'ésotérisme ou déflagration de boucan autour du Mariage pour tous aidant, l'expérience menée par le couple Drew Daniel et M.C. Schmidt avec le Ganzfeld ("protocole utilisé en parapsychologie pour étudier les perceptions extra-sensorielles et plus particulièrement la télépathie") a plus été comprise comme une béquille OuMuPo sympa pour faire un bon disque que comme un manifeste conceptuel pesant mille tonnes. Ça nous fait très plaisir, parce que ça fait quinze ans qu'on pense exactement ça de Matmos: deux gars incroyablement curieux, malins et facétieux qui se mettent des bâtons dans les roues pour mieux avancer, et certainement jamais pour nous assommer.
Basé texte et voix sur une expérience pendant laquelle Daniel a tenté de communiquer télépathiquement le "concept" de l'album à une jeune fille prénommée Tatiana, "Luminous Rings" diffère des morceaux de The Marriage of True Minds en cela qu'il préserve la durée réelle de la session. Mise en musique en temps réel des phénomènes visuels abstraits aperçus en esprit par la demoiselle, le beau morceau composé par le duo illustre moins les mots qu'il ne les enrobe; pour cette raison, "Luminous Rings" n'a pas été retenu pour le tracklisting définitif de l'album mais seulement en bonus track sur la version iTunes du disque. Ce qui fait une belle jambe à l'auditeur qui l'a téléchargé, vous me direz, mais conceptuellement au moins ça méritait d'être précisé.
Réalisée par Martin Schmidt lui-même à partir de matières analogiques insaisissables, la vidéo, très inquiétante, met en scène le fait le plus fou du disque: à l'instar du cobaye interrogé pour "Very Large Green Triangles" (célébré par nos soins ici et ici), la Tatiana de "Luminous Rings" a aperçu des formes triangulaires s'élever de l'obscurité. Drew Daniel, qui est à ce jour la seule personne au monde à connaître le contenu du "concept" de l'album qu'il a tenté de communiquer à ces sujets, est la seule personne au monde à savoir si les triangles en faisaient partie ou non et donc si l'expérience s'est avérée concluante. Parce que j'ai du mal à croire que Matmos soient tombés dans les fringe sciences sans méfiance et sans facétie, ça me rappelle très fort le début de Ghostbusters, quand Bill Murray fait semblant de communiquer télépathiquement avec une jolie blonde pour la draguer.
Précise, inquiète et ardue, la vidéo très sérieuse de Schmidt ressemble en tout cas moins à un clip promotionnel pour la télé qu'à un objet plastique destiné à être projeté dans un Musée à Berlin ou une galerie du Marais. C'est justement tout l'intérêt de Matmos que de pouvoir jouer sur les deux tableaux, celui de la pop colorée sur Pitchfork et des b.o. qui grincent pour les installations à l'Armory Show.
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