December, résident du lieu.
Je me rappelle avoir lu quelque part une interview de Surgeon dans laquelle il rappelait que la fonction purement divertissante de la musique était un phénomène somme toute assez récent. Par cela, il entendait sûrement renouer, comme pas mal de producteurs techno le font aujourd'hui, avec la dimension de transe, de ferveur, de fête de la musique, au sens ritualiste et non consumériste du terme.
C'est un peu cet esprit que tentent d'incarner les gars de Champ Libre, tout en voulant retrouver l'idée du lieu de fête comme refuge communautaire et non comme foire du trône kétaminée. Je ne sais pas si vous êtes déjà allés à leurs soirées, mais on n'y va pas vraiment pour se faire voir ou pour se murger la gueule comme des sagouins en afterwork. Le lieu n'est pas connu publiquement, on ne peut s'y rendre que sur invitation, les règles d'entrée sont assez strictes. Une fois à l'intérieur cependant, l'impression qui prédomine est celle, rassurante, que l'on ne s'est pas uniquement retrouvé là dans le but de se faire vider les poches au bar, ni qu'un videur peut nous tomber dessus à tout moment à bras raccourcis. C'est le genre de soirée où il n'est pas possible de prendre de photos, tant le lieu tient à rester secret, mais aussi le genre de celle où effectivement, on s'y sent un peu plus libre qu'ailleurs, où l'escapism n'est pas un terme galvaudé, où l'impression de se retrouver en territoire fermé n'est pas excluante, mais agit par repli protecteur contre le monde extérieur.
Dit comme ça, on croirait à une orgie de type Eyes Wide Shut, mais rassurez-vous, on est tout de même plus près de la grosse bamboche de sale gosse que de la société décisionnaire guindée à la Bilderbergs. Seulement, aujourd'hui, alors qu'on a très souvent le choix à Paris entre un gros gloubi-boulga sponsorisé par une agence de com' et la possibilité de voir apparaître à tout moment un ancien ministre de la Culture pendant que tu te la colles à la fraiche sur une péniche (soit en gros, entre une commercialisation à outrance et une institutionnalisation castratrice de la club culture), on est en droit de se demander comment réinjecter un peu de danger, de gourmandise et de mauvais esprit dans nos popotins et nos esgourdes engourdis.
C'est un luxe de se poser ces questions-là, bien sûr, surtout lorsqu'on pense dans quel état se trouvait Paris il y a encore quelques années : mais Champ Libre tente d'y répondre honnêtement, par le biais d'une semi-clandestinité donc, mais également par des proposés artistiques transversaux, hardis et effrontés. On le sait, la techno expérimentale, le drone et la noise music sont devenus en quelques années à Paris les terrains d'expression favoris de ceux qui souhaitent échapper aux écueils confortables et prévisibles de la musique de danse - et comme chacun sait, cette dernière n'est jamais meilleure que lorsqu'elle est transgressive.
Champ Libre ajoute pour ce faire aujourd'hui une corde à son arc (les autres tiennent aussi bien du graphisme, de la vidéo, de l'installation que de l'illustration) en publiant le premier maxi de son label fraichement monté, le bien nommé Champ Libre Records. Monolithe noir à la Stroboscopic Artefacts, raideur monastique et sérieux papal dans la mise et dans le son, l'esthétique ecclésiastique-païenne de Genèse reste dans le même ton que leurs soirées. Les artistes du label présents sur cette première mini-compilation sont résidents du lieu, se connaissent, collaborent régulièrement ensemble. Cela crée ainsi, comme l'un des co-responsables du projet nous l'a confié récemment, "une petite entreprise familiale", à l'écart des turpitudes extérieures tout en se les réappropriant en tant qu'objets de célébration. Une sanctuarisation tout autant qu'une libération de la fête, en somme.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.