Salton Sea est un endroit comme seule l’Amérique sait en porter. Utopie de la ville balnéaire des 50’s, cette « recreation area » est aujourd’hui consumée par le sel trop présent dans l’atmosphère et l’odeur de souffre rend n’importe quel séjour infernal passé le premier quart d’heure. Le soleil martèle l’endroit sans répits dix mois sur douze dans l’année. C’est une plaque de sel, criblée par la mort et l’abandon. Ici ne défilent que quelques curieux chaque jour, souhaitant gouter à la vile morte. On y voit des carcasses de tout ce qui a connu le malheur de vivre dans le coin. On y entend des mouettes hystériques – le sel doit enivrer - des essaims de mouches ou guêpes, on est chez elles. Et vaguement en direction de la ville, perdue dans les larmes de chaleur, quelques signes de vies, une télé et un enfant hurlent.
JOSHUA BONNETTA / A. ‘Everything that was Ever Something’ (SP069)
C’est ce qu’a capturé l'artiste sonore Joshua Bonnetta. Des
field recordings pétrifiants et rassurants, des échanges avec et des portraits de ces traces de vies hantant la bourgade expirée. Le texte d’accompagnement, disons même « le cartel du disque », emploie l’expression «
acoustic ecology ». C’est absolument censé.
Lago nous prend à témoin et nous immerge. On épie un bavardage, quelques anecdotes, une vague confession de meurtre (?), un accent épais comme une peau de cochon, les sifflements du vent, un feu, le ronflement du vide… Quelques coups de feu (?)… Ces foutues mouches. Le bruit de la vie en somme. Les relents de vie aussi rassurants qu’inquiétants lorsqu’ils dérangent le silence.
JOSHUA BONNETTA / B. ‘What Lies in It’ (SP069)
Un travail dans la tradition de Bonnetta, à la frontière poreuse entre sonore et visuel, entre la faune et la flore, entre les êtres et leur absence. C’était le cas pour
Strange Lines and Distances (installation audiovisuelle
visible ici). Ça l’est un peu plus dans
Lago. L’objet fait écho au photobook du photographe américain
Ron Jude (publié chez MACK) traitant, peu ou prou, du même sujet au même endroit.
Lago se propose de lui redonner du sens, voire du sensoriel, voire du synesthésique, on voit, touche, sent et goûte (presque) ce que l’on entend. Ainsi Bonnetta s’installe ici en photographe sonore, au naturalisme (presque social) et à la charge documentaire manifeste.
Après
Eternelle Idole de Stephen O'Malley, Shelter Press propose ici une autre vision du dialogue entre sons et photos.
Lago est un projet évident pour une maison d’édition autant que de disques, avec ce projet d’Art non pas total mais « complet », qui bouleverse l’équilibre visuel et donne à repenser l’objet-photo.