Dans Shining, il y a cette scène fameuse de rêve éveillé (ou peut-être est-ce la réalité? brrr...) où Jack Nicholson rencontre le fantôme d'un barman dans une salle de bal. Vous savez, c'est ce moment où l'on comprend que l'écrivain raté a définitivement basculé du côté de la folie furieuse et que l'acteur de Chinatown entame la partie la plus grimaçante de sa carrière. Eh bien, l'atmosphère fantasmagorique de cette scène a inspiré Leyland Kirby qui a fondé son projet The Caretaker (et accessoirement l'ensemble de sa carrière) dessus. Plus généralement, on a appelé cette réappropriation de la matière passée l'hantologie (du nom de la notion de spectralité de Jacques Derrida, qui se référait alors au spectre du communisme en Europe). Apparue au milieu des années 2000, personnifiée en musique (pour le cinéma, voir le film Decasia de Bill Morrison, sublime décomposition à partir de found footage) sous les traits des louvoiements ectoplasmiques de Boards of Canada, Ariel Pink, Leyland Kirby justement, Oneohtrix Point Never (encore lui) ou encore The Focus Group, cette tendance s'est déclinée sur trois tableaux : l'hantologie brute, qui travaille uniquement la matière passée ; l'hantologie résiduelle, qui mélange sons passés et présents ; et l'hantologie traumatique, à partir d'une matière immatérielle (rêves, souvenirs, etc...).
Le cas de F Ingers qui nous concerne aujourd'hui rentre de toute évidence dans la dernière catégorie. Trio de Melbourne composé de Carla Dal Forno, Samuel Karmel et Tarquin Manek (dont deux membres ont évolué dans le groupe Tarcar, lui aussi déjà édité chez Blackest Ever Black), leur premier album, Hide Before Dinner, fraie de toute évidence avec les traumas et les réminescences de l'enfance, en plus de présenter une atmosphère des plus mortifères. Dans une sorte de psych folk électronique délavé et désincarné, où Carla Dal Forno pose sa voix mi-hallucinée, mi-incorporelle sur des arpèges et des entrelacs de guitares évanescentes et frigorifiées, le disque redéfinit les contours de la couleur noire, qu'on croyait aujourd'hui plutôt rangée du côté de la danse et de la célébration. Chez F Ingers, le propos est tellement froid et glaçant qu'il donne plus envie de se terrer sous la couette que de se la coller en se sentant classe dans ses habits sombres (regardez le clip de "Escape Into The Bushes" ci-dessous, moi ça me file la chair de poule). Cette absence totale de complaisance envers l'auditeur rappelle à ce titre la musique de leurs compatriotes de The Wonderfuls, qui partagent avec eux cet "art de la poésie formidablement funèbre".
A noter que F Ingers passera ce jeudi à l'Olympic Café, en compagnie de Cured Pink et Belmont Witch, pour une soirée organisée par le label SDZ Records qu'il ne faudra absolument pas rater. D'ailleurs, on vous fait gagner des places par ici.
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