Par bien des aspects, la sortie du premier album de Ought en 2014 fut une sacrée bouffée d'air frais dans le paysage du rock indie. En digérant habilement références lettrées et post punk brut de pomme, les montréalais se sont offert à qui le voulait comme la bande originale d'une époque bouillonnante (le fameux Printemps Erable) en même temps qu'un antidote malin aux ennuyeux revivalistes du rock un peu trop sages, en puisant chez Television plutôt que (au hasard) chez My Bloody Valentine, Dylan ou Pink Floyd. Alors qu'il aurait pu être assez simple de surfer sur la musique de son groupe maison mère, le ricain Tim Darcy, leader de Ought, annonce la sortie d'un disque "classic rock" qui drague sévèrement les fans de Lou Reed en deuil. Ceci dit ce n'est pas parce qu'on choisit d'écouter son petit coeur qu'il faut pour autant arrêter d'utiliser son cerveau. La preuve...
Maintenant l'attention ne se concentre que sur toi, tu te sens à l'aise avec ça ?
Oui oui, j'ai toujours écrit et joué des morceaux en solo, même avant Ought. Mais quand le groupe a explosé je n'avais plus le temps de composer. Mais j'ai voulu renouer avec cette activité de songwriter. Avec Ought, les paroles arrivaient en dernier. En solo, au contraire, c'est ce que je produis en premier, elles sont au premier plan et c'est très important pour moi.
Cet album est plus direct, avec une approche plus classique et moins sinueuse que la musique de Ought.
La musique de Ought est très angulaire, il y a beaucoup d'énergie et beaucoup d'anxiété dans notre musique. Je voulais surtout faire quelque chose de plus ouvert et peut-être de plus tendre et mélodique.
Depuis le début, Ought et toi par extension avez toujours été reliés à une esthétique post punk et une éthique DIY. Est-ce que c'est un carcan un peu encombrant ?
Un peu. On me renvoie toujours à une lecture stylistique simpliste de ce que je fais. C'est vrai que j'ai eu une relation très forte avec le post punk, mais je n'ai pas envie d'être réduit à ça. Je pense qu'avec Ought, on a réussi à détourner, dévergonder un peu nos influences pour en faire quelque chose de personnel. Personnellement, je crois beaucoup à l'inconscient et la façon dont la musique et l'Art auxquels tu es confronté peuvent s'insinuer à l'intérieur de toi et ressortir d'une manière inattendue.
Tu as d'abord écrit de la poésie avant d'être musicien. Il y a un moment un peu crucial où poésie et musique rock se sont mélangés assez parfaitement avec des gens comme Patti Smith ou Richard Hell. C'est quelque chose d'important pour toi ?
C'est vraiment la période du punk qui me parle le plus. La façon dont la prose est libre et intéragit avec la musique c'est vraiment magnifique. Il y avait aussi cette approche chez les Doors, cette sorte d'incantation. J'ai puisé dans tout ça une façon complètement neuve d'approcher le songwriting et même la musique, en confrontant le spoken word à une forme assez libre de morceaux à guitares. Quand je vois le public qui reprend les paroles aux concerts de Ought, c'est quelque chose de très fort pour moi.
Ought est apparu dans le sillage du Printemps Erable et vous avez été présenté comme un groupe politique. Comment vois tu cela avec du recul ?
Maintenant qu'un peu de temps est passé, je me rends compte qu'il y a des côtés positifs et négatifs. Dans un sens, cela nous a permis d'avoir une interaction très forte avec les gens. Mais à l'opposé, j'ai l'impression que ça a pris le pas sur la musique et que cela a quelque peu éclipsé la complexité de notre musique. Si tu te vois comme un activiste, c'est exactement ce que tu recherches : le discours prend le pas sur le projet musical. Mais ce n'est pas le cas si tu te définis comme un artiste.
El-P a dit récemment quelque chose que je trouve très juste : si tu veux être entendu quand tu dis quelque chose d'important, tu dois aussi être capable de dire quelque chose de pas important, futile et léger. Je suis d'accord avec ça, sinon le discours politique étouffe et finit par tuer la créativité dans la musique. Avec Ought, nous étions stimulés par ce contexte politique mais au moment de sortir un deuxième album, nous étions aussi très heureux d'être libre de faire ce que l'on voulait sans se sentir obligé d'être des activistes.
Le souci c'est que de nos jours, les artistes qui s'aventurent sur le terrain politique ne parle qu'à ceux qui sont d'accord avec eux, ceci étant amplifié largement par les réseaux sociaux. Je ne vois pas un groupe aussi fort et dangereux qu'a pu l'être Public Enemy à une époque par exemple ? On se demande d'ailleurs si cet entre-soi n'est pas une des raisons de la défaite des démocrates par exemple..
Je ne suis pas très vieux, mais je ne crois pas avoir vu la politique américaine être aussi "noire ou blanche" qu'elle l'est actuellement. La grande force de Trump a été de ne pas parler qu'aux gens de son camp. Il s'est juste adressé au peuple, en général. Si tu as quelque chose de radical à dire, les gens t'écouteront. Ils auront peut-être peur mais ça les fera réfléchir. C'est ce qui a permis à Public Enemy à une époque d'avoir autant d'impact. Ils ont dénoncé la façon dont la communauté noire était traitée aux USA (et la situation n'a d'ailleurs pas changé) mais ils se sont adressé à tout le monde. Je ne sais pas ce qui ressortira de cette période qui s'annonce très négative mais je pense que clairement les musiciens ont un rôle important à jouer, qu'ils soient indépendants ou mainstream.
Saturday Night de Tim DARCY sort le 17 février prochain.
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