Le 2 décembre dernier, alors que se tenait une soirée du label 100% Silk à The Ghostship, salle de concert DIY d'Oakland, un feu s'est déclaré et a fait de nombreuses victimes chez les musiciens, artistes et public (on en dénombre 36 aujourd'hui).
Combien de fois je me suis posé la question, effrayé, de savoir ce qui se passerait ("et si quelque chose allait de travers ?") dans les lieux où j'ai joué et que j'ai fréquenté depuis mes 15 ans. Ces garages, sous-sols de maisons, bars désaffectés, palais de justice laissé à l'abandon et squatté. Ces fois où j'ai descendu mon ampli 15 mètres en profondeur pour jouer dans un abri anti atomique, ces fois où j'ai dormi avec un chauffage pas réglementaire. Mais aussi ces fois où nous avons roulé 24 heures d'affilée entre deux dates, ces fois où la porte du van était cassée, celle où on rattrapait notre voiture au bord du ravin en montagne, ces années passées à voyager dans le monde entier pour quelques heures de liberté et de communion le soir du concert. C'est ce sentiment de partage, d'hédonisme et de toute puissance qui nous pousse tous à nous retrouver dans des caves insalubres, des entrepôts, des maisons, des bars pas aux normes. Cette impression un peu bête qu'on est accepté , qu'on peut vivre autrement, comme le chantait Yage avec Anders Leben!?. Le DIY, le punk rock, la politique, l'explosion des barrières de genres, de sexes, de langues, de mœurs, les cuites, les drogues inconnues et trop fortes, c'est tout cela qui a fait de moi celui que je suis aujourd'hui.
Voir une salle DIY partir en fumée à Oakland et emmener avec elle des dizaines de gens qui étaient juste venus voir un concert m'a fait très mal et très peur. Car dans ces corps que la vie a quittés il y avait celui de Kiyomi Tanouye, qui m'avait fait jouer moi et mon groupe dans un espace du même genre non loin à Oakland en 2008, en ne se posant aucune question. Trois petits Français inconnus et qui se retrouvaient à 12 000 km de chez eux devaient bien mériter de jouer après tout ? Et ce fut un des plus beaux concerts de ma modeste carrière. Ça aurait pu être l'un d'entre nous ou l'un d'entre vous. Nous, les gens qui vivons (dans) la musique et qui avons décidé (ou non) d'être obsédés par les disques de punk hardcore, les rééditions d'Arthur Russell et les T-shirts de groupes qui n'existaient plus quand on est né.
C'est dans ces petits endroits, improvisés qui échappent au contrôle et à la bêtise extérieure que je me suis senti le plus vivant, le plus fort, le plus aimé et probablement le plus aimant. C'est quelque chose de difficile à décrire et c'est probablement pour cela que ma peine est la plus grande aujourd'hui quand je pense à cette tragédie, à ces sourires qui sont devenus des cris, à un accident qui ne devrait jamais arriver. Mourir dans ces conditions est intolérable. Mourir dans une salle de concert ne devrait jamais arriver. Ce qui s'est passé à Oakland est atroce. Le souvenir de ceux qui sont partis, je l'espère, n'atténuera pas cette soif de liberté, de curiosité, de vie qui anime tous ceux qui boivent des bières chaudes, portent des amplis, mangent des sandwichs en triangles sur des aires d'autoroutes, qui accueillent des groupes sur le sol de leur salon et qui font du café le matin pour 10 chevelu(e)s pas réveillés qui demandent tous en même temps le code du wifi. Faites attention à vous.
Vous pouvez soutenir les victimes ici.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.