Les jeunes gars de Ought doivent en avoir par dessus la casquette qu'on leur rabâche sans cesse les oreilles avec les influences présupposées de David Foster Wallace ou de Talking Heads sur leur musique. Pourtant, il y a définitivement quelque chose de David Byrne dans le chant mi-angoissé, mi-feulé du leader Tim Beeler (ou Darcy, à vrai dire on ne sait plus) sans pour autant tomber dans la singerie ou l'hommage appuyé et embarrassant. Si le chanteur longiligne du groupe de Montréal ressent les angoisses du jeune homme urbain que devait être Byrne à la fin des années 70, ce n'est pas par mimétisme, ni par déférence, mais plutôt dans une sorte d'émulation naturelle. Quant au romancier américain, il y a dans les paroles du même Darcy (qui, avant d'être dans Ought, dissertait déjà sur l'idée de communauté dans la feuille de chou de son université) quelque chose de l'ordre du ravissement prosaïque, une manière de transcender la banalité et l'enfer de la quotidienneté consumériste que n'aurait pas renié l'auteur de Infinite Jest. Certes, ce n'est pas grand-chose, et en apparence, ça n'apporte pas de grand bouleversement à l'ordre mondial du rock à guitares. Il faut d'ailleurs les voir en live, s'époumoner parfois sur du vide et fendre l'air de saillies maigrichonnes, pour avoir l'impression d'assister à une révolte de poussins, à la fois frêles dans leurs gesticulations et touchants dans leurs zigzags.
Cette dualité émerveillement/anxiété se ressent dans les coupures de guitare obliques tout autant que dans les lignes de basse qui viennent trancher sec dans les harmonies, amenant un semblant de fausseté (et donc de vie) dans le post-punk en apparence propret du groupe. Car Ought, à l'inverse de 99% de ses congénères du cirque indie-rock de ces 25 dernières années, croit aux bonnes résolutions, et c'est en cela qu'il se démarque et amène une forme de respiration dans ce petit monde trop sclérosé qu'est, en gros, le rock à guitares fait par des petits blancs de la classe moyenne. Avec, on l'a dit, un enchantement pour le banal et un sentiment constant de hargne et de fougue (jusqu'au simple fait d'aller faire les courses), le jeune quatuor d'expats (ils se sont formés pendant les manifestations étudiantes du printemps érable à Montréal en 2012, symbole de leur agitation) semble tout de même se tailler la part du lion au sein de la concurrence et leur musique, inconstante, naturaliste et écharpée, respire et transmet parfaitement ce sentiment de bouillonnement qui fait désormais leur marque de fabrique.
Leur deuxième album, Sun Coming Down, sorti il y a quelques jours sur Constellation, semble faire preuve d'une écriture plus impressionniste que par le passé. Fruit de leur tournée intensive entamée à la suite de leur premier album, More Than Any Other Day, le disque témoigne toujours autant de l'urgence du groupe, et de leur promptitude à étirer les mots et les temps, pour donner forme à des chansons aux structures à tiroirs qui ont l'air de s'écrire au moment où elles se jouent. A noter que le groupe passera par la France en novembre, le 24 à Lyon, le 25 à Paris (Maroquinerie), et le 26 à Tourcoing. En attendant, on regarde le clip fraichement débarqué de "Sun's Coming Down", et on écoute "Beautiful Blue Sky", sommet de Sun Coming Down, et son refrain en forme d'étreinte optimiste : "I'm no longer afraid to die, 'cause this is all that i have left".
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