Fires Within Fires fait entrer Neurosis dans sa quatrième décennie d’existence. Or le groupe poursuit sa route inexorablement, sans jamais se retourner, en dépit de ce qui l’entoure : Neurosis a survécu à la chute de l'URSS, à Puddle of Mudd, aux VHS, au 11 septembre, à St. Anger, à Myspace, à la reformation de Refused, à la fermeture du CBGB et à la mode des tatouages Amenra. C’est bien simple, si Neurosis était un animal, ce serait une bestiole d’un autre temps : tellement lourde, grosse et lente qu'elle aurait dû disparaître de la surface de la planète pour d’évidentes raisons d’évolution – comme le megalodon, le diplodocus, Khanate ou James Gandolfini. Mais voilà, même Darwin peut se planter et les anachronismes ont parfois du bon.
Résumé des épisodes précédents : alors que nous avions laissé nos punks broyeurs de noir préférés s’accorder un détour lumineux et presque paisible avec Honor Found In Decay, force est de constater que le groupe n’a pas l’intention de se laisser enfermer dans la catégorie "post-rock/ambient" de votre armoire à vinyls. Qui a eu l’occasion de voir le groupe en live récemment a pu le constater : en puisant dans un large éventail de sa poisseuse discographie, Névrose a rappelé à tout le monde pourquoi il a tiré son nom d’un trouble psychiatrique qui mêle angoisse et souffrance – parce que ça fait mal, voilà pourquoi.
Neurosis Fires Within Fires Album Video
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Et pour leur onzième album, les Ennemis du soleil sont en colère. Avec son intro accueillante, "Bending Light" laisse présager des titres tout en progression comme sur "A Sun That Never Sets" ou "The Eye Of Every Storm" – mais c’est sans compter la déferlante qui suit, brusque rappel aux dures lois de l’apesanteur. Le groupe poursuit alors la recette, qui sonne parfois comme un retour à l’esprit furax de
Through Silver In Blood : Scott Kelly et Steve Von Till gueulent à s’en arracher les cordes vocales ("Fire Is The End Lesson"), les guitares rivalisent de dissonance glauque ("Bending Light", "A Shadow Memory"), de gros riffs sludge ("Fire Is The End Lesson") ou carrément doom ("A Shadow Memory"). Ne comptez pas sur les nappes de clavier de Noah Landis pour vous sortir de là : ses samples et ses synthés renforcent l’impression de claustrophobie inhérente aux trois premiers titres ombrageux de
Fires Within Fires. Puis vient "Broken Ground", point pivot du disque, qui apporte une facette plus enlevée et moins étouffante. Les voix se font chantées, parfois même harmonisées ("Reach"), et la colère cède la place à la mélancolie. Mais malgré de chouettes éclaircies, au-dessus de nos têtes, les nuages demeurent menaçants. En guise de final, les trois dernières minutes de "Reach" achèvent de planter les clous dans le cercueil qui abrite le cadavre de votre joie de vivre. Tout dernier son du disque, le titre meurt dans un râle étouffé.
Fires Within Fires est l’album le plus court de Neurosis depuis
Enemy of the sun : seulement 40 minutes, et ça peut surprendre. Condensé, moins cinématographique que ses prédécesseurs, il voit le groupe puiser dans sa rage originelle et se dépouiller de certains de ses artifices mélodiques parfois ronflants (si, avouez). C’est un album rugueux, taciturne, mais pur et homogène. Et si
The Eye Of Every Storm ou même
Honor Found In Decay semblent bien loin, c’est tant mieux : l’hydre Neurosis a trente ans et elle poursuivra sa mue tant qu’elle rampera à la surface de cette satanée planète.