Puisque Justin Robertson est dans la place depuis longtemps, qu'il a publié des paquets de disques et que ça vous informera peut-être sur son importance, laissez-moi vous raconter comment j'ai découvert sa musique. C'était à l'hiver 1993 pendant les vacances d'hiver, que je passais presque tous les ans avec ma famille à faire du ski en Suisse, dans les Grisons, ou en Autriche. J'avais treize ans, mon chanteur préféré était Prince, je ne pensais à rien d'autre qu'à acheter (ou plutôt à me faire offrir) des compact discs et je me pensais déjà mélomane parce que je lisais régulièrement Best et Les Inrockuptibles, quand bien même je ne connaissais presque aucun des artistes au sommaire et que je n'entravais pas grand chose à ce qui s'y racontait. La musique électronique, que personne dans mon entourage n'osait appeler "techno" parce que ça rappelait trop Technotronic ni "acid house" parce que "Bo le lavabo" foutait la honte à tout le monde, j'étais en train de me rendre compte qu'elle me fascinait un peu plus qu'elle ne m'effrayait. Les images apocalyptiques des grosses raves dans les campagnes françaises ne travaillaient pas encore tout à fait l'inconscient réactionnaire du pays, et je me souviens d'un débat houleux avec mon frère au sujet de "Love on the Beat" de Gainsbourg après une déclaration péremptoire où j'avais déclaré que c'était ma chanson préférée de la compilation De Gainsbourg à Gainsbarre que mes parents avaient acheté en cassette pour la voiture.
Surtout, j'étais en train de me rendre compte que quelque chose dans "Waiting for the Night" de Depeche Mode, "What Time is Love" de KLF ou ce remix des New Fast Automatic Daffodils découvert par hasard dans un mini CD 3 pouces offert avec un numéro Best me procurait un bonheur physiologique qu'aucun disque de rock, qu'il soit des Doors, de Nirvana ou des Stone Roses (mon péché mignon, acheté suite à un article dans un hors-série des Inrocks sur le "rock anglais") ne me procurait. Un de mes plaisirs des vacances, c'était de me faire offrir une cassette sur la route, parce qu'en Suisse ou en Italie, on trouvait des disques pas si déshonorants dans les stations service. L'année précédente, l'achat de Mixed Up, l'album de remixes de The Cure, m'avait offert un ravissement total, notamment grâce à cet extended incroyable de Fascination Street par Mark Saunders dont je n'avais sans doute même pas fait l'effort de lire le nom mais dont la séquence de morse et le labyrinthe d'échos me fascinaient. Alors en cet hiver 1993, je comptais bien réitérer avec un "album de remixes", si possible avec une pochette "dessinée à l'ordinateur": c'est sans hésiter que j'ai jeté mon dévolu sur It's-It des Sugarcubes, groupe avec lequel Damien, mon ami écossais du primaire m'avait pas mal bassiné, mais dont je n'aimais pas beaucoup la voix du chanteur (plutôt plus celle de la chanteuse, mais c'est une autre histoire - Debut de Björk n'est sorti que quelques mois plus tard).
En ouverture d'It's-It, il y avait donc ce remix lénifiant, plein de congas et de soleil de "Birthday", dont je n'avais aucune idée que c'était le proto tube qui avait fait connaître le groupe hors des frontières d'Islande à la fin des années 80, dont je n'avais aucune idée non plus que la bassline était emblématique de cette forme mutante de dub électronique nourri aux relents acides de l'ecstasy dont Justin Robertson, qui était surtout connu comme DJ et remixeur à l'époque, était un petit maître.
Cette longue digression autobiographique, qui vaudra sans doute à cet article de perdre quelques lecteurs impatients en route, a pour but d'éviter une pénible liste de méfaits discographiques et d'expliciter un peu la manière dont les grands producteurs de house anglaise de la fin des années 80 au milieu des années 90 ont pu influencer leur époque en restant dans l'ombre. Mancunien proche dans sa sensibilité rock/trippy/LSD d'Andrew Weatherall ou Graham Massey de 808 State, Robertson spécifiquement a largement infusé ses idées et sa sensibilité dans la pop, le rock et la techno de ces 25 dernières années, et ce en dépit du fait qu'aucun de ses projets personnels (Lionrock, Two Culture Clash, Revtone) n'ait provoqué de vagues médiatiques aussi imposantes que celles de ses bambins spirituels Chemical Brothers et que son nom soit largement resté en retrait de l'histoire des musiques électroniques anglaises.
On s'emballe donc avec bonheur pour son nouvel album sous le nom de Deadstock 33's, le très valable Everything is Turbulence qui paraît le 25 septembre sur Skint, parce qu'on sait à l'avance que sa patte s'y entendra à chaque seconde et qu'on y sera par conséquent très, très bien. Sans surprise, Robertson s'y éparpille dans à peu près tous les territoires qu'il a explorés depuis ses premières soirées au Konspiracy Club de Manchester, house, dub, big beat, acid, indie techno, techno rock gros sabots ou ambient pop qu'il touille ensemble comme un chimiste de la rue un peu plus doué que celui du chimiste de la rue d'à côté. Comme il nous l'a confié dans l'oreille par e-message: "Si je dois être honnête, je suis très excité par ce nouveau disque. C'est le disque le plus personnel que j'ai fait. On y trouve la plupart de mes bornes musicales, mais tout tient assez bien ensemble, avec une sorte de feeling lysergique qui coule tout du long, qui tire son chapeau devant les ambiances et les situations".
Alors bien sûr, ce cocktail chimique qui mélange à outrance beats lénifiants et vapeurs de LSD, c'est le programme que Robertson nous sert depuis deux dizaines d'années; mais ça rappelle aussi à notre bon souvenir que la house anglaise a longtemps fonctionné à l'appropriation et à la distillation d'agents mutagènes dans la marmite, que c'est aussi beaucoup pour ça qu'on l'aime, et que ce n'est pas par hasard que l'Anglais soit l'un des artistes qui nous a le plus marqués. Accessoirement, c'est le même programme qui a tant emballé la jeunesse l'an passé via le beau succès (mérité) de Daniel Avery, ce qui en dit long sur l'intérêt tout particulier que vous devriez lui porter.
On écoute en avant-première le trippé trippant "Sacred Bone", ainsi que les autres bouts de beats déjà fuités par Skint chez quelques confrères bien aimés.
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