Le ciel est gris et bas sur le canal Saint Martin pendant que j'attends Laurent Bardainne, venu me parler de Tropical Suite, le projet le plus chaleureux de la discographie de son groupe, Poni Hoax. On va donc parler de Thaïlande, d'Afrique du Sud et de Brésil en parka au beau milieu de l'hiver parisien. Un paradoxe qui colle bien au parcours du groupe parisien : Joakim, Gilb'r, Camelia Jordana, Limousine, Society Of Silence, Arielle Dombasle, Sony, Tigersushi, Pan European... faire l'inventaire des side-projects, collaborations, labels et maisons de disques de Poni Hoax et de ses membres c'est couvrir quasiment tout le spectre de la production musicale d'aujourd'hui, de ses formes les plus simples à ses incarnations les plus sophistiquées. Ce qui n'empêche pas le groupe et sa cold-wave dansante d'incarner une certaine idée du rock'n'roll avec ce qu'elle implique d'énergie, de romantisme, d'excès, d'indocilité et d'idiotie assumée.
Avec Tropical Suite, Poni Hoax joue gros : riches de toutes leurs expériences à l'intérieur et à l'extérieur du groupe, Laurent Bardainne, Nicolas Ker, Nicolas Villebrun, Arnaud Roulin et Vincent Taeger livrent l'album sur lequel leur cocktail de funk blanc, de citations world et d'effronterie rock est le mieux dosé. Mais les 5 musiciens sont aussi conscients qu'autour d'eux le paysage a profondément changé, que la promotion electro-rock de 2008 a disparu corps et biens, que la modernité qu'ils ont incarnée a fait long feu. Fascinés - et un peu amusés - par la gestion entre DIY et auto-entrepreneuriat des groupes de vingtenaires d'aujourd'hui, pas à l'aise avec les comparaisons avec la vieille garde du rock hexagonal, les 5 membres de Poni Hoax ont le cul entre deux chaises. Et la réception publique et critique de Tropical Suite risque bien de décider de l'avenir du groupe : soit un premier pas enfin assuré parmi les grosses formations du rock d'ici, soit la dernière étape d'une carrière en demi-teinte, avec ses coups d'éclats et ses mauvaises passes.
Assez loin de l'image torturée ou maudite qu'on cherche à coller à son groupe, assez loin aussi de la quête politque et spirituelle que certains voudraient déceler dans leur volonté d'aller enregistrer autour du monde, Laurent Bardainne, qui est en train d'allumer sa clope pile sous le panneau "Interdiction de fumer" de la terrasse couverte du Point FMR pendant que j'appuie sur le rec de mon téléphone, a donc une équation à plusieurs inconnues à résoudre : comment fait-on du rock quand on à 40 ans ?
Changer ?
LB : Voilà.
L'idée directrice c'est donc avant tout de vous retrouver.
LB : Tout est parti d'une discussion avec Gaelle Massicot à l'Institut Français. Elle m'a demandé ce qui allait se passer avec Poni Hoax, je n'avais pas de réponse, j'ai dû en inventer une. Je m'en souviens très bien. Il y a 6 ans avec Nicolas on a trouvé un studio de rêve en Thaïlande, à 200 mètres de la mer, avec des palmiers, une piscine... Les Libertines y ont enregistré d'ailleurs. On s'était dit que notre rêve c'était de pouvoir enregistrer un album là-bas. Faire du rock à 40 ans pour moi c'est aller enregistrer au soleil. J'avais trouvé mon équation : on va aller faire les branleurs, on va enregistrer autour du monde. Après un an de boulot tout s'est mis en place. Red Bull nous a mis des studios au Brésil et en Afrique du Sud à disposition, Agnès B. nous a aidés financièrement, on a réussi à trouver le bon montage pour se casser trois fois une semaine et enregistrer.
La notion d'exil est importante ?
LB : En tant que "leader" du groupe, l'exil c'est la seule solution que j'ai trouvé pour qu'on se retrouve. Nico Ker partait en couilles, show business et compagnie, nous on avait tous nos projets qui prenaient de plus en plus de place... Malgré certaines réticences ça a fini par se faire. Et ça a marché. Le fait de prendre un avion – ce qu'on sait faire avec Poni, on a énormément tourné - de faire 12 000 bornes et 12 000 heures de vol, ça crée forcément un sentiment de cohésion, d'adhésion. Sauf excès de mauvaise foi. On a flippé au départ parce que Nico Ker était trop bourré pour monter dans l'avion, ils l'ont refusé à l'enregistrement, ce con ! Après tout le boulot que j'avais fait ! (rires). Mais ça a été, il est arrivé avec une journée de retard, on l'a envoyé à l'hôpital, et c'était parti.
Tropical Suite sort au même moment que l'album de Cheveu avec Groupe Doueh. On a eu l'occasion de les interviewer et pour eux il était très important de ne pas tomber dans les clichés world, ils sont partis avec une volonté très forte d'éviter toute démarche de récupération. C'est quelque chose que vous aviez en tête pendant les sessions ?
Pour moi c'est un débat abscons, ça n'existe pas. Avec mon groupe Limousine on a fait ça avec Siam Roads, on était en Thaïlande pour enregistrer pendant un mois et là on a vraiment essayé de leur piquer leur musique ! (rires)
Et ça n'a même pas marché ! Si tu me fais jouer de la musique thaï ça ne ressemblera à rien, que je le veuille ou non.
Le côté musique de film que l'on retrouve sur certains titres, c'est voulu ?
LB : Oui, un peu. Tu as tout simplement envie de raconter. Le plan avec l'avion qui décolle, l'idée un peu romantique d'aller se balader autour du monde. Pour "Who Are You" aussi, l'idée est cinématographique. C'est parti d'un super beau poème de Nico. J'avais fait un instrumental qui devait servir d'interlude, lui voulait faire un truc parlé ; on a mélangé ça. Il s'était ouvert le pied sur une bouteille de vodka chez lui, il ne pouvait plus trop bouger du coup il a enregistré son texte sur son dictaphone, nous l'a envoyé en MP3 et ça a marché tout de suite. Moi ça m'évoque le personnage de Marlon Brando dans Apocalypse Now, le colonel Kurtz. La descente du Mékong. Comme dans Au Coeur des Ténèbres de Conrad, que je lisais juste avant qu'on parte.
Un peu comme Daniel Darc et son retour au protestantisme à la fin de sa vie.
LB : Oui, sur "Psaume 23". Ils sont assez similaires tous les deux. J'ai bossé avec Darc, j'avais l’impression d'être face au même mec. Ultra-sensibles, ultra-lyriques, mais ultra centrés sur eux mêmes. Quand on a fait le Grand Journal j'ai prévenu Nicolas : pour moi s'il était arrivé bourré ç'aurait été comme quand Darc s'est scarifié sur scène, un acte de sabordage volontaire. Je ne pense pas que Poni y aurait survécu. Après, grand respect pour les frontmen. Je n'en suis pas un, je bosse avec beaucoup d'entre eux et tous ont un pète au casque, chacun à leur façon. Je pense que c'est indissociable.
Autre différence, à part Nicolas vous avez tous des formations musicales très poussées, vous venez du conservatoire, du jazz, du classique. Est-ce que pour toi c'est antinomique avec la musique que vous jouez ?
LB : Non. On est un vrai groupe de rock, dans la définition que j'en ai. Cette espèce de sauvagerie, de truc chimique qui se passe, d'équation. Ce qu'on aime bien c'est l'idiotie, le décalage, la distance. Vincent Taeger, le batteur, essaie toujours de baisser les intensités pour qu'on fasse un truc plus sexy, plus Daft Punk - on l'appelle "Nuit Debout" parce qu'il proteste beaucoup - mais ce serait aller à contre sens parce que quand on se retrouve sur scène il y a une synergie qui opère. Une adrénaline, une chimie entre tous les membres du groupe : un mélange de désir sexuel, de sauvagerie et de cataclysme, d'explosion. Un truc d'absolu, hyper beau et très simple. Pour que ça marche on a simplement besoin de voir bouger le cul des meufs. C'est pour ça qu'on a monté ce groupe.
Ce qui me fait penser à votre interview à Technikart où vous parliez de La Femme en disant que ce sont des mecs qui font du rock mais qui sont très sérieux.
LB : Ouais c'est dingue ! Je ne sais même pas comment ils font pour se donner autant, je suis assez admiratif. On arriverait pas à faire autant de concessions tout en étant dans cette espèce de débilité – parce que La Femme ça peut être un peu débile, dans le bon sens du terme. Eux arrivent à assurer professionnellement, à être sympa, à ne pas s'embrouiller... Nous on n'a pas réussi à faire de concessions. On est plus proche de cette "énergie du rock" (il imite Philippe Manoeuvre, ndr) qui nous fait péter un plomb, qui crée cette a alchimie de groupe qui fait que ça devient incontrôlable. Et c'est ça qui est bon.
Quand on a eu du succès avec "Antibodies" il y a 8-9 ans, on nous a proposé des remixes à la David Guetta qui pouvaient potentiellement passer sur NRJ. Et très naturellement on refusait. Pour nous aller jouer sur TF1 ça a toujours été complètement impensable. Dans ce fil là on s'est rendu compte qu'on était pas destinés à être super bankables. Maintenant tous les groupes sont sympas, polis, organisés. Ils ont leur propre système de production, leurs labels, leur merchandising... Les DIY d'aujourd'hui. Je trouve ça fascinant.
Dernière question : tu l'as résolue, l'équation ?
LB : Oui. Honnêtement je suis super fier de ce qu'on en a sorti. On avait pas envie de faire un album à succès, simplement de la bonne musique. Quelque part la pression était tombée, comme s'il n y avait plus d'enjeu avec Poni Hoax. On a fait 15 ans de studio maintenant on est à l'aise, expérimentés, on se connaît par coeur. L'idée c'était de faire notre disque à nous, et je crois que ça a marché.
Tropical Suite est disponible depuis vendredi via Pan European Recordings.
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