La musique a rarement été aussi perchée que depuis quelques années. Entre ré-exploration de la kosmische Musik, revival psyché à toutes les sauces et remise au premier rang des drogues comme élément crucial d'inspiration (du mumble rap au rock à guitares), il serait un peu aisé de traiter d'écervelés toute cette bande de hippies qui planent bien au-dessus des questions sur le revenu universel et la gouvernance de Donald et Mickey. À l'occasion de la sortie du très réussi Occult Architecture Vol.1 de Moon Duo, on a pris quelques instants pour éclairer avec sa moitié féminine ce qu'était exactement la musique occulte, et si finalement, à force de voyager dans les cieux, les musiciens ne perdaient pas pied avec le monde qui les entoure...
Penses-tu que la musique puisse être synonyme de transe ?
Sanae Yamada : Oui je le pense. La musique est une force tellement mystérieuse. On ne sait pas trop d'où elle vient, elle donne une consistance aux choses impalpables de la vie, à un monde invisible. Et c'est de cette façon qu'elle peut provoquer une transe et emmener le corps humain dans un nouvel état. Quand je travaille sur ma musique, je sais parfois que je suis transportée vers un ailleurs inexploré.
Les enfants sont très réceptifs à ce genre de phénomène.
Oui c'est vrai. Je me rappelle quand j'étais enfant, j'entendais mes parents mettre Bach très fort dans la maison, alors que j'étais censée être endormie. C'est un souvenir très marquant.
En parlant de musique classique, c'est un domaine où le volume du son est crucial. Est-ce que c'est le cas dans Moon Duo ?
Oui c'est très important car en live notre musique crée un espace temps coupé du monde, dans lequel on inclut les spectateurs. Dans cet espace, il faut que le son soit assez fort pour agir sur leurs corps et les emmener avec nous.
Que représente la notion d'occultisme pour toi et qu'est ce qui te plait dans cette culture ?
Pour moi, s'intéresser à l'occulte, c'est enquêter et révéler au monde tout ce qui est invisible. Je trouve ça intéressant d'aller au-delà de la réalité et des apparences.
Tu as été élevée dans la religion ?
Oui, ma mère était méthodiste. J'allais à l'église tous les dimanches quand j'étais enfant. J'ai refusé d'y aller vers 12 ans. Je ne suis pas touchée par la religion en tant qu'organisation, bien que la façon dont elle peut raconter l'au-delà et trouver un sens à notre existence me passionnent. Mais je suis aussi touchée par la science pour les mêmes raisons.
La philosophie traditionnellement affirme qu'on cherche à combattre la mort en enfantant, créant des œuvres d'Art ou en croyant en Dieu. Tu t'identifies à cela ?
C'est une question intéressante. Je ne sais pas. Je ne joue pas de la musique par peur de la mort mais le fait qu'elle permette de laisser une trace sur cette Terre est quelque chose de très séduisant forcément.
Il y a un sacré paradoxe dans le fait de sortir un disque aussi transcendental que le vôtre à un moment où le climat social et politique est très tendu avec des peurs très tangibles et réelles.
Oh oui (rires). Quand on enregistrait le disque l'an passé, on sentait déjà poindre ces peurs et ce scénario catastrophique. Ces tensions ont toujours été là, latentes, et maintenant elles explosent au visage de tout le monde.
Mais te sens-tu impliquée dans les évènements actuels ou restes-tu un peu dans une bulle d'artiste ?
Bien sûr. Tout le monde est impliqué. Qu'on le veuille ou non, nos destins sont liés, à nous tous vivant aux USA. Je ne suis pas sûr de comment m'y prendre pour aider ou changer cette situation. Mais je participe aux marches, je me rapproche de nos représentants au Congrès. J'agis. Cette situation est impossible à ignorer.
En particulier en tant que femme non ?
Oui absolument. En tant que femme et en tant qu'américaine d'origine japonaise d'autant plus. Des membres de ma famille qui venaient du Japon ont vécu dans des camps de réfugiés, ont été emprisonnés pendant la 2nde guerre mondiale. Le Muslim Ban est très perturbant pour moi à une échelle intime et à une échelle humanitaire et éthique.
Un bon exemple d'articulation entre musique psychédélique et revendication politique était Sun Ra. Est-ce quelqu'un de marquant pour toi ?
Tout à fait. Sun Ra était un génie. Sa façon de lier musique et idées sociales était aussi radicale qu'efficace. Souvent la musique pâtit du discours politique, mais chez Sun Ra jamais.
"Will of the devil" sur ce nouveau disque sonne très différemment des autres morceaux avec un côté plus direct. Cela m'a fait penser à Gun Club dans l'énergie.
Sur ce morceau on voulait faire quelque chose de cinématique, une atmosphère sinistre de film noir, qui donne des images. On pensait plutôt au brouillard, à des corbeaux, des choses comme cela.
Avant de le mixer à Berlin, vous avez créé ce nouveau disque à Portland. Est-ce que cette ville reste importante et inspirante pour vous ?
Oui, on adore Portland, la ville change beaucoup mais je pense qu'on y restera toujours. La nature environnante nous inspire beaucoup. Ici on peut palper le changement des saisons, la Nature influe sur notre vie et notre façon de créer.
Cet album a-t-il été conçu comme un concept album ? Car il est présenté tel quel par votre label, avec cette déclinaison musicale du Ying et du Yang...
Non, pas vraiment, c'est arrivé tard. Ce disque a surtout été réfléchi comme quelque chose de plus obscur, plus sombre. Et puis certains morceaux sont apparus ensuite et étaient beaucoup plus lumineux donc il y avait vraiment ces deux facettes.
Pour moi le ying et le yang adapté à Moon Duo c'est, d'un côté, l'aspect très terre-à-terre de la vie d'un groupe indépendant et de ce que ça implique au quotidien, et de l'autre, le fait de jouer cette musique très cosmique qui ouvre les portes de l'inconscient...
Oui, il y a quelque chose comme ça. En tournée les villes et les salles se ressemblent souvent et ce n'est pas simple d'échapper à une certaine réalité. Mais le fait de tourner crée aussi le moyen de modifier l'espace que l'on investit. Moon Duo peut ouvrir une nouvelle porte et inviter ailleurs les gens qui viennent nous voir, même si c'est très éphémère.
Occult Architecture Vol.1 est sorti le 3 février chez Sacred Bones.
Moon Duo sera en live pour la soirée THE DRONE du 18 mars prochain au Trabendo, en compagnie de Sam Fleisch et Sierra Manhattan.
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