Parmi le florilège de réactions (plus ou moins opportunistes, plus ou moins naturelles) de la part des musiciens anglais suite à l'annonce du Brexit survenu vendredi dernier, il y en a eu une qui nous a particulièrement marqué de son empreinte impulsive, passionnée et impudente.
Par son caractère à la fois nuancé (dans un premier temps, le groupe admettait qu'il y avait des craintes légitimes en ce qui concerne le maintien de l'Angleterre dans l'UE), abrasif (en n'hésitant pas à insulter les représentants de sa propre famille et classe sociale) et visiblement nourri d'expérience personnelle, le statut Facebook de Fat White Family, le groupe d'affreux sales et méchants (et d'après nous, essentiels) rockers du Sud de Londres que l'on avait interviewé en mars dernier, nous semblait à la fois exprimer le dégoût véritable d'une classe et d'une génération laissées pour compte, que le sentiment de désarroi face à l'inextricable machine de guerre de l'oligarchie contemporaine ressenti par une majorité des jeunes votants d'aujourd'hui.
On nous a dit qu'ils ne répondaient plus aux demandes d'interview depuis des semaines, et qu'ils ne réagiraient probablement pas plus à la nôtre qu'aux autres. On ne sait donc par quel miracle Lias Saoudi a accepté de répondre à nos questions, de clarifier ses propos tout autant que nous éclaircir sur sa situation familiale personnelle. Avant de vous livrer une analyse plus détaillée ce qu'on a tiré de ce flot de paroles sur la question de l'engagement politique du rock anglais contemporain, on a choisi de vous donner tels quels les propos du chanteur de Fat White Family sur la situation.
Lias Saoudi - "J’ai grandi en Irlande du Nord, j’ai vécu en Écosse, ma mère vient du Yorskshire, mon père est algérien et a vécu à Oxford. J’ai vécu les douze dernières années de ma vie à Londres, tout ça m’a toujours semble n’être que le même pays. J'ai habité à Berlin, en Espagne, j'ai passé beaucoup de temps en France, et l'idée qu'on puisse choisir telle ou telle nationalité européenne, que l'on puisse se rendre où l'on veut est une des très bonnes choses nées de l'UE, malgré toutes les réserves que je peux avoir à son encontre, notamment en termes de droits de l'homme, du travail, du logement, etc...
Le meilleur scénario possible est qu’on nous oblige à faire demi-tour d’une manière ou d’une autre, je crois que Merkel disait un truc comme ça. Je ne pense pas que l’UE va tolérer longtemps le genre de connerie qu’on vient de faire. Ce serait la bonne décision à prendre, parce que quitter l’Europe ne fait que mettre en danger une organisation déjà bien fragile. J’imagine que l’issue est qu’on revienne à la case départ, mais avec une bureaucratie extrêmement coûteuse, rien ni personne entre nous et une économie de marché ultra thatchériste où il n’y aurait plus aucune règle. Un vrai putain de bourbier, quoi.
Je pense que la moitié de ma famille a voté en faveur du Brexit. Je suis sûr que ma mère l’a fait en tout cas. J’aime ma mère, mais je pense qu’elle est complètement tarée sur ce coup là. Ma famille vient du Nord de l’Angleterre, où il y a eu un vote de sanction très fort. Ces gens vivent dans des zones post-industrielles sinistrées, n’ont aucun respect pour eux-mêmes ou de sentiment de dignité. Et je ne dis pas ça de manière dédaigneuse. Il n’y a plus de travail là-bas, il n’y a que des prêteurs sur gage et des bookmakers.
Il n’aurait jamais dû y avoir de referendum, parce que ce n’était qu’une manœuvre politique de David Cameron depuis le début. Le but était uniquement d’apaiser la frange la plus droitière des Tories, et le UKIP s’est évidemment engouffré dans la brèche. Ça n’avait rien à voir avec des éventuelles demandes formulées par le peuple.
Il devrait y avoir un test d’aptitude lorsque tu vas voter. Tu ne vas pas laisser un gars conduire une voiture s’il n’est même capable de mettre le moteur en marche, tu vois ce que je veux dire ? Si tu ne sais même pas pointer Bruxelles sur une carte, ce qu’est un minimum la situation des réfugiés, tu ne devrais pas être en mesure de prendre le genre de décision qui t’autorise à faire partie de l’UE ou non. On a tous vu ça : la page la plus recherchée sur Google ces derniers jours, c’était : "C’est quoi l’UE ?", et ça après qu’on ait voté pour quitter ce putain de truc !
(c) Tom Oxley
Quand tu désindustrialises des énormes portions de pays, les gens sont laissés à l’abandon, sans but. Par conséquent ils ne peuvent plus avoir de respect pour eux-mêmes. La surchauffe qui a amené les gens à croire à n’importe quoi, tout ça provient du fait que le peuple réclame du changement coûte que coûte. "Take Back Control", le slogan de Farage, était à ce titre particulièrement judicieux, parce qu’il est clair que le peuple anglais se sent dépossédé de tout aujourd’hui. Mais les problèmes que ces gens rencontrent régulièrement n’ont jamais été mis sur la table lors de ces débats, et je doute qu’ils le soient un jour. Je pense qu’on est juste parti pour nous laisser pourrir dans notre merde.
Les gens comme Farage, pour moi, ne sont que des putains de fascistes. Ils méritent d’être pendus par les couilles, ils sont dangereux, ils ne vont que créer de la misère et de la douleur et engendrer des meurtres dans ce pays. Ils n’ont eu absolument aucune considération envers les Irlandais. Il va y avoir encore des bombes à Belfast. Les frontières vont être verrouillées, ce sera impossible d’y aller. C’est une honte. Puis tu as la question écossaise : ils vont partir. On est en train de parler de la fin d’une ère, je ne sais pas combien de temps ça a duré, 800 ans ou quelque chose comme ça, où le Royaume Uni a été, malgré toutes les dissensions internes, l’union de nations la plus florissante de l'Histoire. Aujourd’hui, c’est fini.
(c) Jake Lewis
Et en ce qui concerne la validité de mon opinion, je suis peut-être mal informé, je suis peut-être arrogant, je suis peut-être condescendant, mais au moins j’exprime quelque chose. Pour ce qui est des autres groupes, ils ont besoin de se retrousser les manches et d’y aller, parce que c’est leur putain de boulot. Ce n’est pas dangereux d’avoir une opinion. Il y a un cruel manque d’engagement politique depuis des années dans la scène musicale anglaise. Je pense que le choix de n’absolument rien dire relève autant du geste politique que celui de crier ton opinion sur tous les toits. C’est ce qui sous-tend l’industrie musicale anglaise aujourd’hui. Normalement, la pop music devrait être une forme d’art populaire, comme son nom l’indique. À la base, c’est un medium qui vient du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Au lieu de ça, elle a été dépossédée de sa portée sociale et a été réinvestie par des gens qui peuvent se payer du temps de studio, faire des démos, s’acheter des instruments quand ils le souhaitent. Le problème de la scène musicale anglaise aujourd’hui est avant tout un problème de classe. On parle d’une industrie qui a subi la loi de l’offre et de la demande, et qui a été vendue au plus offrant. C’est pour ça qu’on croit aujourd’hui qu’on ne devrait même pas se donner la peine de dire tout haut ce que l’on pense quand quelque chose d’aussi ouvertement nauséabond que la sortie de l’UE se produit.
Et je ne parle pas des statuts Facebook, tout le monde s’en branle de ça. Je parle d’exprimer viscéralement ta colère, de communiquer ta frustration à travers tes chansons, que ce soit directement ou indirectement. Seulement, les groupes se contentent de remplir leur feed Facebook de statuts bien commodes de gauche, adressés aux gens de la même classe, qui vont penser comme eux, et tout le monde est content à la fin de la journée, chacun repart à sa besogne. On ne comble aucun vide ici (ni toi, ni moi, ni les autres), on s’éloigne de plus en plus les uns des autres. Ça ne me pose pas de souci de recevoir des critiques quand j’exprime mon opinion de manière virulente, et peut-être irréfléchie pour certains, je pense que c’est sain, et que le contraire est absolument aberrant. Je ne suis pas un homme politique, je n’ai pas de souci à passer pour un trou du cul."
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