Beau Wanzer est arrivé dans nos vies par toutes petites touches: un maxi par-ci, un maxi par-là, une collab' cool, un one-shot ultra jouissif avec des potes... Mais parce que les disques nous sont arrivés dans le désordre et le brouhaha des sorties L.I.E.S. et affiliés, on a mis un moment à le distinguer dans le tout venant techno K7, le Beau, appréciant sans doute la netteté de son minimalisme au détour d'un Panier de crabes rempli ras-la-gueule mais peinant surtout à mettre le doigt sur ce qui le rendait si spécial...
Tout ça jusqu'à la sortie dans les derniers jours de 2014 de Beau Wanzer, double-LP autoproduit refusant tout net le statut de "premier album" et rempli de vieilleries intimes et de bricolages de l'extrême qui n'ont accessoirement que très ponctuellement quelque chose à voir avec la techno. C'est un fait indéniable, Beau Wanzer est tout sauf un poser et un vrai cas vraiment à part dans le paysage dance actuel, qui s'en fiche pas mal de faire rentrer ses tracks dans les moules de la dance et dans les charts de Resident Advisor. L'interview ci-dessous, on était donc en quelque sorte obligés de la faire.
Pour commencer, une question toute bête sur ton passé de musicien: comment en es-tu venu à la musique électronique et pourquoi?
Le premier instrument que j'ai pris au sérieux était une guitare (j'avais 12 ou 13 ans) mais je me suis rapidement ennuyé avec. Un peu plus tard, j'ai acheté mon premier synthétiseur à un ami. Je crois que la raison pour laquelle j'ai été attiré par les machines vient des bruits bizarres qu'ils peuvent faire. A l'époque, et encore aujourd'hui je pense, je me contentais de brancher deux trucs ensemble, de programmer un son ou un pattern, et de partir de ça pour essayer de construire quelque chose. Je ne me considère pas comme un vrai musicien. Je ne sais pas lire la musique et je n'ai aucune idée des notes que je joues. J'approche la création musique comme un bébé qui bave, en tâtonnant jusqu'à ce que ça ressemble à quelque chose.
On sait que tu as grandi à Chicago, ou pas loin de Chicago. D'un point de vue européen et un peu romantique, on se dit qu'il n'est sans doute pas accidentel que tu te sois retrouvé à tourner des boutons sur des machines pour faire de la musique qui a un rapport avec la dance. Est-ce qu'on se trompe?
Le Midwest tout entier a une longue histoire de "tourneurs de boutons". J'ai beaucoup déménagé quand j'étais plus jeune, et dans chaque petite ville dans laquelle j'ai déménagé, j'ai eu la chance de pouvoir me plonger dans un bain de musique très varié: punk, no-wave, noise, musique industrielle et effectivement, beaucoup de musique électronique dans tous les genres. J'ai toujours entendu de la musique électronique autour de moi. J'ai eu tendance à graviter autour des sous-genres les plus obtus. Pas forcément de la "dance music", mais la plupart du temps de la musique très rythmique.
Tu te souviens de la première fois où tu as entendu de la house?
Je devais être adolescent, même si j'ai dû attendre d'avoir 20 ans pour commencer à acheter des disques. J'ai été frappé par la qualité émotionnelle et la crudité de la house, par les moyens très minimalistes avec laquelle elle arrivait à ses fins. J'aime beaucoup la house aussi pour tout ce qu'elle a amené à Chicago et à ses musiciens. Mais j'ai surtout écouté de la musique industrielle. Adolescent, j'étais féru de synth pop (OMD, Fad Gadget, Devo, Depeche Mode ou Sillicon Teens), puis je suis rapidement passé à des choses plus dures, Data Bank A, Absolute Body Control, Tuxedomoon ou Geography de Front 242. Tout a changé pour moi à l'adolescence quand j'ai découvert Skinny Puppy. Je me souviens être allé chez un copain à l'âge de 15 ans et avoir été traumatisé parce que son grand-frère écoutait Remission. Il fallait absolument que je me procure ce truc. Le lendemain je suis revenu avec une cassette vierge et il me l'a copié avec des trucs de Legendary Pink Dots, Nurse With Wound, Z'EV, et plein de trucs d'indus très rythmique. Et puis tous ces trucs electro... Au début des années 2000, j'étais obsédé par des projets comme Le Car, Le Syndicat Electronique, I-f, et Luke Eargoggle et tous les groupes reliés au label Stilleben. Mais j'ai écouté tellement de choses en grandissant que j'ai vraiment du mal à déterminer ce qui m'a le plus influencé. Beat Happening, Diamanda Galas, Polygon Window... Et Les Residents restent l'un de mes groupes préférés au monde.
Ton premier album est une collection de morceaux enregistrés sur une très longue période. Sortir ça en guise de premier album, c'est très inhabituel, et un peu risqué. Etait-ce une manière d'aller à rebours des règles implicites de la carrière de musicien qui veut réussir?
Je ne vois pas trop ce qu'il y a de si risqué... En fait je n'ai pas trop réfléchi. J'avais juste très envie de sortir ces morceaux. Ça va faire treize ans que je les file et refile en CD-R à des gens que je rencontre. Je recherchais sans doute un petit accomplissement personnel en les pressant en vinyle, mais ça faisait surtout trop longtemps que je les gardais pour moi. Au final, je suis surtout très reconnaissant envers toutes ces personnes qui ont pris le temps de l'écouter. Avec la quantité de musique qui sort, la vieille comme la nouvelle... C'est juste une goutte d'eau dans l'océan.
L'écoute de l'album est une expérience étrange: on a presque l'impression de fourrer son nez dans ton home-studio - voire sur certains morceaux dans ta chambre d'adolescent - pendant que tu n'es pas là et que les machines continuent à jouer toute seules...
Toute musique est intime. Enfin, je crois. J'essaye de ne pas y penser en ces termes parce que sinon, je n'arriverais jamais à terminer quoi que ce soit - et ça n'est sans doute pas étranger au fait que j'ai attendu si longtemps pour sortir ces morceaux. Parfois, sortir quelque chose est la chose la plus importante du monde, peu importe si des gens sont là pour y prêter attention. Faire les choses pour soi même reste la meilleure manière de procéder. Je n'ai jamais enregistré un morceau de musique avec l'idée de "le sortir". C'est toujours resté un hobby.
J'ai rencontré Melvin en 2001, à une époque où je travaillais pour un disquaire qui s'appellait Weekend Records and Soap et qui appartenait à James Marlon Magas (personnage clé de l'underground noise, membre de Couch et Lake of Dracula connu pour ses amitiés avec les gens de Wolf Eyes ou Flying Luttenbachers, ndr). Melvin traînait pas mal au magasin et on geekait pas mal autour des arrivées de disques, autant les vieilleries que les nouveautés d'ailleurs. On a commencé à s'échanger des morceaux. Mais il s'est passé quelques années avant qu'on commence à jammer ensemble et à sortir des disques de Mutant Beat Dance. L'évolution s'est faite de la manière la plus naturelle qui soit. L'idée, comme à chaque fois, était de s'amuser, pas de sortir des disques.
En lisant ta bio sur le site de Nation justement, j'ai découvert que tu étais un gros fan de films d'horreur. D'où te vient cette passion?
De l'adolescence. J'ai l'impression d'avoir regardé des films d'horreur et des fills culte toute ma vie. Plus jeune, j'étais obsédé par les effets spéciaux et j'étais abonné à Fangoria, Toxic Horror, Femme Fatales et Gorezone. J'aime surtout les films un peu cheps du début des années 80 jusqu'au début des années 90. J'ai même pensé m'inscrire à un cursus effets spéciaux à la Fac, mais j'ai fini par choisir les sicence. Je reste un consommateur avide de films gore et j'ai beaucoup lu sur la mousse de latex. J'ai même fabriqué quelques objets bizarres sans usage précis.
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