On ne parle pas avec Ian Svenonius comme on parle avec les autres musiciens. On ne parle même pas avec Ian Svenonius comme on parle avec les autres légendes du rock. 0n parle plutôt avec Ian Svenonius comme on parlerait avec un écrivain, un essayiste, une usine à concepts. Quand il répond à vos questions, Ian Svenonius ne fouille pas laborieusement une mémoire trouée par les opiacés, la caféine et les barbituriques, il parcourt le monde et l'histoire récente pour leur faire cracher des idées et des manifestes. A l'instar de Randy Newman, Momus ou Stephin Merritt des Magnetic Fields, il fait partie de ces musiciens qui envisagent d'abord le rock comme un objet d'étude critique, sociologique et idéologique, et qui prolongent son histoire presque malgré eux.
Formé à DC en pleine descente de fièvre d'un hardcore première génération au militantisme frontal et limite bas du front, son premier groupe Nation of Ulysses se considérait d'ailleurs avec plus ou moins d'ironie et d'ambiguité comme un "parti politique". Autoproclamé "garçon le plus culotté d'Amérique" ("the sassiest boy in America"), Svenonius enrobait toutes les saillies du groupe (live exutoires, disques cataclysmiques) de discours complexes sur l'état corrompu du rock'n'roll, à tel point que malgré une descendance monstrueuse (des Hives à At The Drive-in, tout le hardcore des nineties et des noughties leur doit quelque chose), on évoque aujourd'hui plus volontiers les liner notes démente de leurs disques et la "propagande séparatiste" qu'elles distillaient que leur relecture radicale et formidable du MC5.
Puis le grunge et l'indie rock sont arrivés et Svenonius et sa bande ont estimé que la mission de Nation of Ulysses n'était plus en phase avec son temps. Remplaçant les derniers oripeaux de hardcore par la musique gospel, l'uniforme et l'orgue hammond, ils fondèrent The Make-Up, antithèse esthétique absolue du rock bourgeois, capitaliste et arrogant de l'Amérique conquérante et cousine volontaire de la house nation prolétaire qui venait d'éclore de l'autre côté de l'Atlantique. Contre-révolutionnaire et chic, The Make Up ne vécut que 5 ans, le temps de se rendre compte que les clones abondaient déjà. Svenonius partit s'acoquiner avec Neil Hagerty de Pussy Galore et Royal Trux pour former Weird War et "chercher des noises à l'idiotie des nouveaux temps". Tout ce qu'il a fait depuis (un album solo d'easy listening esotérique sous le nom de David Candy, trois avec Chain and the Gang, la reformation innattendue de The Make-Up) est musicalement un peu moins important et idéologiquement un peu plus pertinent.
De plus en plus sollicité pour son gros cerveau et sa capacité à décrypter le protocoles secrets de la pop, Svenonius écrit et interviewe aussi des hérauts indie pour Vice Magazine, Index, Sound Collector et a publié un livre d'essais chez Drag City, The Psychic Soviet. On y découvre ébahis que ses rengaines et élucubrations plus ou moins prescientes, plus ou moins paranoïaques sur le rock, le cinéma, la politique, l'histoire et la télévision s'emboitent à peu parfaitement les unes dans les autres et tissent ensemble, si ce n'est une manne philosophique, un décodage remarquablement cohérent de la culture américaine. Croyez le fou.
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