Donc je viens de lire dans un article sur le site des Inrocks que J.J. Abrams envisageait de tourner Star Wars VII en 35mm. L'angle choisi par le journaliste pour relayer la news était de s'interroger si le choix de la pellicule n'était pas, ostensiblement, éventuellement légèrement osé en regard avec l'envergure du projet - le space opera grand public le plus attendu de toute l'histoire du Monde après l'invention d'Internet - et surprenant même de la part d'Abrams, auteur de la fantaisie semi-rétromaniaque Super 8 et fétichiste bien connu des flares et du gros grain. Le fait est que l'Américain n'a pas vraiment besoin de vraie pellicule pour aggraver son cas: même sans les plugins, les CGI et la 3D, les caméras numériques d'aujourd'hui peuvent bien sûr (presque) tout faire, (presque) tout simuler. Et Abrams n'a pas besoin de vraie pellicule pour faire du cinéma vraiment mélancolique: en quelque sorte, la présence exagérée et sans cesse soulignée par la mise en scène "d'effets de pellicule" recréés numériquement semble avant tout être une manière de pleurer leur disparition.
Et ben en principe, pour les petits nerds producteurs de house expérimentale à la mode comme Huerco S, c'est pareil: si leur musique souffle plus fort que celle des vrais disques lo-fi vraiment mal enregistrés à cette époque lointaine où un home-studio coûtait le prix d'une Lamborghini, ce n'est par nécessité mais par pur goût de la fange et fétichisme du gros grain. Ça tombe bien, les logiciels modernes font tous ça très bien, simuler la saleté, le buzz et les gros grains.
Bien sûr, je ne sais pas précisément comment Huerco S. travaille, mais le contexte me donne raison à l'avance: les auras et le rab de poussière qu'on entend de plus en plus fort et de plus en plus souvent dans la musique électronique contemporaine ne sont pas des vraies auras ni de la vraie poussière, mais des auras et de la poussière de synthèse, des simulacres qui la vident étrangement de leur sens et de leur essence. Recréer le bruit de l'aura sans se soucier du référentiel, voilà qui revient à accepter la déliquescence éventuelle, théorisée par un certain nombres du réel sans rien en discuter; ou pour citer directement la phrase la plus célèbre du classique théorique que j'ai derrière la tête "Aujourd’hui l’abstraction n’est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept. La simulation n’est plus celle d’un territoire, d’un être référentiel, d’une substance. Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité: hyperréel.”
Tout ça pour dire, certes un peu laborieusement, que la musique de Huerco S. me semble très étrange, à la fois très pleine et très vide, très intrigante et très ennuyeuse. Revenez par exemple sur les choses éminemment postmodernes qu'un Jan Jelinek faisait grosso modo avec la même idée, les même samples et le même souffle il y a une douzaine d'années et comparez: c'est comme si la poussière, toute-puissante, souveraine, avait définitivement gagné pour de bon sur les intentions, jusqu'à annihiler tout désir de groove et de beauté. Et le Colonial Patterns de Huerco S. qui sort bientôt sur le Software de Oneohtrix Point Never (tiens, tiens), c'est un peu le son hyper mélancolique de la défaite, le cadavre gisant d'un gamin assassiné par le maelstrom du passé, gisant pour de bon sous les monceaux d'ordure et les photocopies déchirées. Un bon gros bad trip, quoi, dont je me demande sincèrement ce que les générations futures pourront bien penser.
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