Il y a des aléas que la presse dite indépendante (oui, on parle de nous là) ne peut parfois contrôler. Le manque d'effectif d'une rédaction sans véritable rentrée d'argent en est un bien sûr, et le fait de laisser somnoler une interview dans les tiroirs pendant près de deux ans en est un autre, et dit assez de l’état de fraicheur que se doit d’avoir un papier pour pouvoir se permettre de sortir dans des conditions optimales. Pourtant, ce genre de désagrément peut être aussi parfois bénéfique, et peut même nous éclairer rétrospectivement sur un sujet qu’on a laissé bien trop longtemps à l’état de friche.
Helena Hauff, par exemple. Il y a deux ans, Lucie Monpontet interviewait la DJ allemande au festival Peacock Society à Paris. On a laissé passer du temps, faute de temps et d’investissement, arrivant quasiment jusqu'au moment de jeter l'éponge. Et puis, lorsqu'on a observé l'évolution de la jeune femme sur la scène internationale, en plus de sa présence cette année de nouveau au Peacock, on s'est dit que c'était trop con, et que ce coup du sort nous était en fait favorable, nous permettant d'observer de biais un parcours que l'on peut juger aujourd'hui avec le recul nécessaire.
Apparue depuis le renfoncement de la scène électronique de Hambourg, pur produit du Golden Pudel, lieu emblématique en forme d'excroissance punk et trash de la richesse et du foisonnement de la scène électronique récente de la ville allemande, est passée en quelques années du statut d'outsider timide à celui de chevaleresse de la cause dark techno.
Lorsqu’elle se produisait au Peacock Society il y a maintenant près de deux ans donc, nous avons rencontré une jeune femme un peu étonnée de se retrouver là, aux côtés de mastodontes tels que Richie Hawtin, Kerri Chandler et autres Paul Kalkbrenner. Collée à la scène du Secret Dancefloor, elle partageait alors la scène avec d’autres francs-tireurs à la portée réduite (ou seulement locale) comme Zaltan, Coni, ou son compagnon de label Moiré. Ses lapsus et ses hésitations charmantes trahissaient alors à la fois la primeur d’une artiste qui se démarquait par sa fraicheur tout autant que des balbutiements inhérents à la condition d'artiste en gestation. Aujourd’hui, on peut voir Helena Hauff claquer la bise à Plastikman comme si les deux étaient de vieux potes de biture, taper des talons avec une assurance désormais souveraine sur des scènes de plus en plus conséquentes, et se produire devant des assemblées considérables dans tous les grands raouts house et techno de la planète qui se respectent.
Qu’est-ce qui a provoqué cette transformation aussi soudaine que complète ? Depuis deux ans, il est indéniable que la jeune femme a pris du galon, en fondant notamment son propre label Return To Disorder, monté dans le but d’ériger un pont entre techno et rock psychédélique. À ce titre, il est intéressant de noter l’évolution entre le maxi du même nom, sorti en 2014 sur le label hollandais Panzerkreuz, et son premier album Discreet Desires, publié deux ans plus tard sur Werkdiscs, la maison de disques de Actress (qui a contribué à la révéler au "grand" public). Si le premier se caractérise par une nuée de basses concassées et de kicks tellement surcompressés qu’ils en donnent le tournis (ou la nausée, au choix), le premier véritable long format de la jeune femme (si l’on excepte A Tape sorti en 2014) publié l’année suivante, s'est attelé à prendre la tangente d'une certaine idée de pur antagonisme noisy, en offrant de curieux pas de côtés tout autant qu'un témoignage d’une appétence nouvelle de la jeune femme pour les mélodies bien faites et le sens du hook certain (quelques morceaux, tels que "Spur", ou "Sworn To Secrecy Part II" s’approcheraient presque du format chanson).
En mettant légèrement plus de miel dans son fiel, en conservant le côté racé de ses compositions, toujours hirsutes mais désormais plus rondes et avenantes, moins bourrues et plus affables, Helena Hauff a réussi alors à s’attirer un public pas forcément d’avance conquis à la cause de la techno abrasive et des manifestes gothico-coldwave, mais pourtant à même de goûter à son brevage relevé. Une tendance au crossover intelligent qui lui a permis d’embrasser dans le même mouvement corbeaux de nuit du dancefloor, khôl blancs et blancs-becs normcore, toujours dans cette optique d'ériger des ponts entre des pratiques et affects pas forcément amis de prime abord, et d'ainsi remporter la mise sur pas mal de tableaux rassembleurs.
Ce qui n’a pas changé depuis et qui sera probablement toujours présent dans la musique d'Helena Hauff, c’est la simplicité toujours exaltante que peuvent parfois amener un simple kick et des claps bien placés, la griserie produite par cette musique animée d’une force brute et qui ne trouve son plein épanouissement que dans un déploiement vertical et frontal. Bref, une certaine idée (certes ancestrale mais toujours d’actualité) de la musique de danse, qui ne serait plus seulement fonctionnelle, mais véritablement libératrice. Et si l’on suppute qu’aujourd’hui qu'Helena Hauff a probablement de quoi se payer un peu plus qu’un T1 exigu à Hambourg, il est indéniable que ses propositions de danse et de trance ne sont, quant à elles, pas prêtes de s'empâter.
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