Pas la peine de nous écrire pour vous plaindre du fait que c'est la deuxième fois qu'on parle de reggae en moins d'un mois. On en est les premiers surpris en fait. Mais là, on a pour ainsi dire pas le choix: cette énième anthologie thématique de Stuart Baker est même tellement insidieusement magnifique de par son contenu et par son action prosélyte que ça fait une semaine qu'on tourne autour du pot et des notes dans le cahier pour arriver à gribouiller quelque chose digne des papillons qu'elle nous fout dans le ventre. Ca doit être la faute à toutes ces gamines qui chantent un peu faux.
On vous explique: le Lovers Rock (à confondre absolument avec le Lover's Rock de Sade Adu, un hommage à sa matrice) est un genre musical exclusivement britannique, né au coeur des années 70 et intégralement fomenté par la deuxième génération d'immigrés en provenance des anciennes colonies caribéennes (Jamaïque, Trinidad-et-Tobago, la Barbade...) ou les enfants de la première, débarquée juste après-guerre suite à la création d'un régime de citoyenneté spécial pour les ressortissants des anciennes colonies (le CUKC de 1948).
Développé en parallèle du roots reggae britannique (LKJ, Matumbi, Misty in Roots, Aswad, Steel Pulse), le Lovers Rock est comme sa némesis esthétique. Posté en équilibre à la jonction de la Jamaïque (pour les riddims), des Etats-Unis (pour la soul et le disco) et de l'Angleterre (pour les synthés et à peu près tout le reste), le genre est comme un cancre volontaire qui révise consciencieusement ses leçons le soir mais qui défie sans cesse l'autorité des Maîtres la journée plutôt que de se plier en quatre pour se faire aimer.
Car contrairement au reggae jamaïcain des 70s, mystique et masculin, le Lovers Rock ne parle que d'amour, fait chanter des gamines de seize ans et s'adresse exclusivement aux jeunes filles en fleur. Anthony Brightley de Black Slate, originaire de Hackney dans le Greater London mais qui a enregistré ses premiers morceaux à Channel One avec Sugar Minott dans la pièce, décrit parfaitement le désir d'émancipation qui animait la jeune scène: "It was lovers rock because I didn't sing about Jah. Black Slate was all about Rastafarian music. There was a black culture of everything in darkness, women walking behind you, you wouldn't even walk with your girlfriend on your arm, wouldn't kiss her in the street, everything done in the dark. And we in this new younger generation didn't like this, we just thought it was rubbish. So all my lyrics were to do with love".
Si la plupart des producteurs stars du genre sont aussi connues pour leurs prods dub et reggae (Denis Boswell, futur producteur des Slits et du Pop Group qui était originaire de la Barbade et non de Jamaïque, Mad Professor et son label Ariwa), ils sont tous catégoriques quant au rôle du Lovers Rock: c'est par lui que la vraie émancipation est arrivée.
Alors soit, le Lovers Rock est la version sirupeuse et midinette du reggae UK, de la came pour les charts plus que pour les soundsystems. Mais on arguera sans sourciller qu'à l'instar des versions FM-friendly du two-step (Oxide & Neutrino, le So Solid Crew), du grime (Shystie, Dizzee, le premier Roll Deep) voire du dubstep (le rédacteur adore l'album plein de chanteuses de DVA et avoue sans rougir un petit faible pour Katy B), c'est précisément ce qui nous le rend si attachant. Le Lovers Rock, c'est un cousin adorable et superbement sexy du disco, la dance pop anglaise dopée au multiculturalisme dans toute sa beauté et sa singularité, et sans aucun doute la base de la base de ce qui traîne dans les iPods des gamines londoniennes contemporaines. A bien des égards, Sade est une artiste Lovers Rock à 99%, et outre les carrières à rallonge des divas du genre (Louisa Mark, Carroll Thompson), la reconversion d'une Caron Wheeler au sein de Soul II Soul en dit long sur l'influence du genre sur la soul et la pop anglaise dans son ensemble.
D'autres compilations Lovers Rock existaient déjà (dont une avec un artwork à nichons absolument sublime), mais celle de Soul Jazz, augmentée d'un gros livret critique de 80 pages, est au moins plus facile à dénicher chez votre disquaire.
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