Tout le monde en parle pour une très bonne raison: Imaginary Choregraphy, la dernière référence en date du label parisien Antinote, est un trésor intégral. Enregistré en 1984 par Paki Zennaro et Gianni Visnadi, deux italiens aux parcours chaotiques et presque inconnus d'Internet (un véritable exploit par les temps qui courent), ce disque de synth music aux matières très singulières et accents presque balearic est resté sous le radar de tous les spécialistes et de tous les collectionneurs pendant plus de trente ans, et pour cause: il n'est jamais sorti.
Copié sur cassettes BASF à 5, 6 ou 10 exemplaires par Zennaro à l'usage exclusif des amis et des musiciens avec lesquels il avait envie de travailler, il a logiquement disparu dans la nature avant qu'un exemplaire de la cassette originale soit déniché par hasard au marché d'Aligre par Johanna Heather Anselmo, girlfriend de Gwen Jamois, diggueur extraordinaire, âme d'IUEKE et deuxième Papa d'Antinote. A en croire ce dernier, Imaginary Choreography revient donc de loin.
Maintenant l'histoire vous paraît un peu trop belle pour être vraie et vous flairez l'imposture montée de toutes pièces avec la collaboration complice des deux intéressés ? On a payé des coups Jamois et on lui a demandé de vous prouver le contraire.
A2 - ATN018 - Parallel waves - IMAGINARY CHOREOGRAPHY - Paki ZENNARO & Gianni VISNADI
Bon pour commencer, dis-en nous un peu plus sur Paki Zennaro et Gianni Visnadi, les deux gaillards derrière ce disque... Quentin Vandewalle m'a dit que Paki, le premier, avait travaillé avec la grande danseuse / chorégraphe Carolyn Carlson?C'est sûr que y'a pas grand chose sur Discogs... Vesnadi, son frère a Paolo a fait beaucoup de techno sur
UMM, un label italien dont les pochettes sont super belles, en noir avec des titres écrits en gris... T'as forcément déjà vu ça, les pochettes sont super mais c'est surtout des disques de merde. Des trucs des années 90 assez mauvais et quelques disques supers, mais c'est pas Vesnadi qui les a faits. Ce disque c'est clairement une collaboration, mais c'est beaucoup un disque de l'autre, Zennaro. Sur la cassette dont on parle, il y avait écrit "Solo Works". Le mec a envoyé ça en disant "c'est ma musique".
On parle donc d'une demo ou d'une vraie sortie?Non c'est une demo. Zennaro m'a dit qu'il en avait fait entre 6 et 10. Il ne savait pas me dire exactement. Et là, je dois parler d'un truc qui m'énerve un peu: j'ai lu sur des sites anglossaxons des petits articles avec le mot "reissue" ou "réédition" - et c'est pas du tout le cas! Ça n'a jamais été mis en vente nulle part, juste envoyé à des potes.
Tu peux nous raconter comment tu es tombé sur la cassette? Quand tu es tombé dessus, le nom de Zennaro te disait quelque chose?C'est seulement en fouillant les informations sur le bordel que j'ai compris d'où le mec venait. Mais je dois préciser que c'est ma copine, Joanna, qui a trouvé la cassette.
Elle collectionne les cassettes?Elle a un walkman - qui vient de péter d'ailleurs, elle doit en racheter un. Elle adore ce format. Quand on est sur la place d'Aligre ou dans d'autres brocantes, elle ramasse des trucs qu'elle connaît ou qu'elle connaît pas. Celle-là, elle était vendue avec un lot de 5, avec des compils personnelles et une d'une nénette royaliste qui faisait une discussion sur les rois de France ou je sais pas quoi, un truc horrible... On a écouté ça et on a bien rigolé. Mais celle de Paki et Gianni, y avait une pochette. J'ai vu ça, je me suis dit, la pochette est tellement belle, soit c'est un chef d'oeuvre, soit c'est abominable. C'est souvent le cas des disques avec des belles pochettes. Les disques trop beaux dont tu n'as jamais entendu parler, dans une brocante ou chez un disquaire, il faut les reposer. Parce que s'ils étaient bien, tu les connaîtrais forcément. En cassette, c'est différent. Il reste des trucs à déterrer. Bref, j'ai mis la cassette, et là, la claque. Je l'ai numérisé tout de suite. Je l'ai bien écouté de nouveau. Et je me suis dit "c'est pour Antinote". On a longtemps tourné avec Quentin autour de l'idée de faire un label de réédition... Et puis un truc sur lequel on comptait est finalement tombé à l'eau parce que le mec nous a fait un coup de Trafalgar... Il a mis des morceaux sur iTunes avant qu'on sorte le disque. Mais finalement, ça tombe bien, parce que la réédition, je crois pas que ça corresponde à Antinote.
Trop de rééditions tuent la réédition?Tu te lèves le matin, le temps que t'ailles pisser, y a 5 labels de réédition qui se sont montés. On a fini par se dire avec Quentin que c'était pas pour nous. Par contre, des projets d'époque jamais sortis, ça, on en est ultra friands... Et je dis pas ça parce
qu'on sort mes cassettes d'Iueke...
rené aubry # funeral march
05:01
Et le lien entre Zennaro et Carolyn Carlson?C'est une coïncidence heureuse mais il se trouve que je me suis beaucoup intéressé aux musiques de ses spectacles composées par son mari - ou copain, je sais plus -
René Aubry. Vraiment un drôle de gars, entre folk et musique contemporaine qui a fait beaucoup de musiques des spectacles de Carlson. Il a beaucoup collaboré avec
Jean Schwarz, un gars du GRM qui est assez intéressant parce qu'il avait une formation de batteur de jazz... Il existe deux, trois albums des deux ensemble sortis de manière très confidentielle qui sont vraiment passionnants. Ça fait un moment que je pense à faire une belle édition des oeuvres des deux, notamment de leurs musiques pour Carlson. Bref, je te raconte ça parce que ça va pas nulle part. Il y a quelques mois, j'avais trouvé dans les puces du marché d'Aligre un lot de cassettes de René Aubry, de musiques de spectacles de Carlson et d'autres, totalement
un-googlables... Des trucs qui n'existent pas, quoi, peut être promotionnels, distribués à l'époque. Quand Joanna a trouvé la cassette de Zennaro et Visnadi, je n'ai pas tout de suite fait le rapprochement, mais en faisant des recherches sur Zennaro, j'ai compris que le mec avait bossé directement avec Aubry. La cassette venait du même vendeur qui m'avait vendu ses cassettes. Je pense que cette cassette de Zennaro a appartenu à René Aubry. J'y suis retourné, j'ai acheté tout ce que j'ai trouvé. Y avait plein de trucs supers, mais rien d'aussi bien qu'
Imaginary Choreography. Via Paki, j'espère trouver plus de merveilles du côté d'Aubry et Schwarz.
Ce qui veut dire qu'Imaginary Choreography n'a pas de petit frère?Entre Zennaro et Visnesi, c'est un one-shot sans lendemain. Le premier venait de la musique expérimentale, l'autre faisait des trucs plus commerciaux, ils se sont rencontrés, ont eu l'idée de ce disque, qui était de faire un disque "actuel" à l'usage des écoles de danse contemporaine - parce qu'ils trouvaient sans doute que les étudiants passaient trop de temps à réviser leurs pas sur du Schubert et qu'un peu de musique électronique pourrait s'avérer utile. Mais le truc ressemble à rien! On reconnaît vaguement les influences de Manuel Gottsching, Cluster ou Conrad Schnitzler, mais y a quelque chose d'autre. C'est pas teutonique. C'est relax. C'est répétitif mais à chaque écoute, tu découvres quelque chose de nouveau. Bref, ils ont enregistré très vite, en quelques jours, et n'ont plus jamais bossé ensemble. Et Zennaro a une longue carrière mais a sorti assez peu de disques. Son gagne-pain c'était la musique de théâtre. J'ai retrouvé sa trace, il vit à Venise. Je lui ai parlé au téléphone, il m'a demandé "
Mais comment tu as trouvé ça?". Je lui ai dit "
c'est ma copine". Il m'a répondu: "
c'est normal, tout vient par les femmes". Le mec est comme ça. Tu regardes des photos de lui aujourd'hui, c'est le super beau mec, lunettes, cheveux blancs... Le beau vénitien. Bref, c'est peut-être grâce à cette cassette qu'il a commencé à travailler avec René Aubry, et c'est peur-être pour ça qu'il y a autant de guitare sur le disque. Si c'était le cas, ça voudrait dire que l'histoire est encore plus jolie: ça voudrait dire que même si la cassette n'est pas sortie à l'époque, elle a rempli son but. Le mec a trouvé du boulot. Il aurait peut-être même vécu avec Aubry et Carlson un temps. De là à dire qu'il y avait plus qu'une relation professionnelle entre ces trois là... C'était une autre époque, quoi.