Après y avoir été incarcéré plus de deux ans, Gucci Mane quittait le 26 mai dernier le pénitencier de Terre Haute, dans l'Indiana. Entre le jour où il a plaidé coupable pour possession d'armes à feu et sa sortie anticipée de prison, il a sorti plus de 25 mixtapes et albums (plusieurs solos ainsi que des collaborations avec Migos, Chief Keef, Young Thug ou PeeWee Longway) et, s'il n'a placé aucun single dans le top 100 du Billboard pendant ses 24 mois au placard, la cote du rappeur né en Alabama en 1980 et dont le premier album est sorti en 2005, n'a jamais cessé de grimper. 

Deux jours après sa libération, un Gucci Mane physiquement méconnaissable téléversait sur Soundcloud un nouveau single, "First Day Out Tha Feds", produit par Mike Will Made It, avec qui il collabore depuis 2007. En douze heures, le morceau avait été écouté près d'un million de fois. Le 4 juin, c'est un morceau avec Drake, "Back on Road", qui est diffusé pendant le show de la superstar de Toronto sur la radio Beats 1 d'Apple Music. Une semaine plus tard, Gucci Mane fait partie - avec Kanye West, Travis Scott, Yo Gotti, 2 Chainz, Big Sean, Desiigner et Quavo de Migos - du casting de "Champions", premier single de la nouvelle compilation du label G.O.O.D. Music, Cruel Winter, qui se hisse à la 71ème place du Top 100. Suivront "Multi Millionaire LaFlare", "All My Children", "Young Guwop" avec Young Thug et "No Sleep", présenté comme l'intro d'Everybody Looking, nouvel album de Gucci Mane dont la date de sortie commerciale est fixée au 22 juillet et dont Mike Will dit, dans une interview récente pour Fader, qu'il a été réalisé en six jours, avec Zaytoven, dans une maison de la banlieue d'Atlanta.

Quand Gucci Mane sort en indépendant son premier album "Trap House", en 2005, Atlanta est encore loin d'être la place forte du rap mondial qu'elle est devenue. À l'exception notable des légendes Outkast, de Ludacris (qui vend plus de 10 millions de disques entre 2000 et 2004), T.I. (qui dès 2003 frappe un grand coup avec Trap Musik), Lil Jon (Kings of Crunk et Crunk Juice) et Young Jeezy (Let's Get It: Thug Motivation 101, qui sort deux mois après Trap House), rares sont les rappeurs locaux qui brillent au-delà de la Sunbelt. 

Déjà produit par le Californien Zaytoven qui ne quittera plus Atlanta après ce premier hit et qui produira huit ans plus tard le "Versace" de Migos - morceau phare de la nouvelle vague d'Atlanta - le premier single de Gucci Mane, "Icy", qui sort en avril 2005, lance non seulement les carrières de Gucci et Young Jeezy (invité sur le morceau, tout comme le vétéran de la Dungeon Family, Lil Will, responsable du refrain auto-tuné) et sera à l'origine d'un beef entre les deux nouvelles stars du rap d'Atlanta, mais ouvre une brêche dans laquelle se sont engouffrés la plupart des rappeurs qui comptent aujourd'hui.



"Tous ces rappeurs sont mes enfants", clame Gucci Mane sur "All My Children". Young Thug, Future, Nicki Minaj, Chief Keef, Migos, Rich Homie Quan vénèrent tous en effet l'auteur de "Lemonade", lui doivent, plus ou moins directement, leur accès à la célébrité et ont largement profité de ses recherches (et trouvailles involontaires) en terme de flow, de diction, de storytelling et d'écriture, mais c'est bien son influence sur le son des années 2010, celui des mixtapes underground autant que des tubes pop planétaires qui est décisive : c'est en studio avec Gucci Mane que les producteurs les plus en vue du moment ont élaboré leurs formules, dont le canevas pourrait bien être la proto-trap que Shawty Redd a mis au point au mitan des années 2000 pour coller au flow cotonneux et nasal de Gucci et aux saillies de Young Jeezy.

Car si 1017 records, le label fondé par Gucci en 2007 (dont on ne sait guère s'il a encore une existence légale), est supposé compter encore dans ses rangs les rappeurs Waka Flocka Flame, Young Scooter et Chief Keef, c'est l'hégémonie du pool de producteurs maison sur la production rap actuelle qui dit tout. Non seulement responsables de plusieurs morceaux emblématiques de la carrière de Gucci Mane, Lex Luger, Southside, Sonny Digital et Zaytoven ont signé une bonne partie des hits de Migos, Future, 2 Chainz, Wiz Khalifa, Chief Keef, Meek Mill ou Young Thug. Et si l'on ajoute à ce quatuor l'omniprésent Mike Will Made It - qui bien avant d'aligner les tubes pour Miley Cyrus, Rihanna et Beyonce a fait ses classes avec Gucci Mane - il apparaît que Radric Davis est le dénominateur commun d'une grosse part des hits "urbains" de ces dix dernières années.

Faiseur de rois et D.A. du tout Atlanta ("il a les meilleurs oreilles du game" dit de lui le producteur Metro Boomin qui a fait ses armes aux côtés du rappeur OJ Da Juiceman - second couteau de la clique 1017 - avant de briller aux côtés de Future, entre autres) qui passe chaque journée enfermé en studio quand il n'est pas derrière les barreaux et que son entourage a toujours comparé à 2Pac, Gucci Mane n'a fait qu'effleurer jusqu'ici ses rêves de succès commercial  - c'était fin 2009 avec l'album The State vs. Radric Davis, son seul disque d'or à ce jour - la faute à une discographie aussi pléthorique qu'aléatoire, un attachement à un street-rap à tendance folklorique pas tout à fait taillé pour le grand public et (surtout) à un art maîtrisé de l'auto-sabotage.

À la fin de cette semaine, avec un album enfin dignement marketé et une série de singles impeccables, Gucci Mane pourrait enfin récolter les fruits qu'il a semés dans tous les backyards de la Zone 6 d'Atlanta.