Pour ceux que ça intéresse pas trop, un group show, en jargon art contemporain, est une exposition collective: on y invite plusieurs artistes à y confronter oeuvres, visions de l'art et "visions du monde" (dans un catalogue, il y aurait écrit "phénoménologisations épocales"), si possible dans l'entente et l'harmonie. En musique, où notes et actions font un langage, la collaboration coule de source. Depuis un siècle que l'improvisation collective est établie comme la deuxième manière la plus naturelle de jouer de la musique en Occident, la "communication" entre les musiciens est même un présupposé de qualité, voire un droit d'entrée a minima pour rentrer dans la catégorie "musique".
Pourquoi alors s'appeller Groupshow quand on est un trio de musique improvisée? Derrière leurs faces sévéres et leurs lunettes carrées, Jan Jelinek, Hanno Leichtmann (alias Static) et Andrew Pekler, trois inventeurs de ce qu'on appela un jour la "microhouse", ont bien sûr de l'humour; mais ce sont surtout trois maîtres de la sculpture sonique autant que de la musique tout court, qui collaborent par la matière et les couleurs plus que par les gammes et les degrés. Naturellement, ils font du krautrock parce qu'ils sont Allemands et que ça leur coule un peu dans le sang, mais aussi parce que la répétition, la répétition dans la répétition et l'ivresse du temps qu'on distend leur permet de mieux mettre en oeuvre leur art de la texture, pointilleux jusqu'au plastique. Comme par hasard, ils jouent et improvisent sur une batterie de petites machines, boîtes à buzz ou petits oscillateurs plutôt que sur gros machins derniers cris, et il y a quelque chose de l'atelier d'artiste en bordel dans leur table de travail.
Leur nouvel LP à sortir incessamment sur Staubgold, en tout cas, est très beau et beaucoup moins arty que les deux paragraphes ci-dessus ne pourraient le laisser croire. La musique que les trois électroniciens farfouillent ensemble est précise comme un coucou suisse-allemand mais aussi vibrante et enfumée, et sent plus fort le patchouli que le métal fondu. Largement improvisée dans la durée, elle est réellement "organique" comme celle de Cluster à leur meilleure époque, comme une sieste ou un accord de quinte augmentée. Il ne s'y passe pas grand chose, mais on s'y sent merveilleusement bien, comme on rentre dans un bain à la bonne température ou comme on respire un grand bold d'air pur, à 4000 mètre d'altitude. En fait, c'est le meilleur genre d'easy listening possible et imaginable en 2013.
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