Quand on écoutait les Micronauts à balle à la fin des années 90, on se figurait George Issakidis comme un démon, un fouteur de merde, un saboteur. On ne l'avait jamais vu en vrai et sur les photos, il portait toujours un bonnet de raver qui n'avait rien à voir avec le look d'étudiants en Lettres modernes de la plupart de ses collègues. Dans le déluge de positivité béate et de disco fluo de la French Touch surtout, les déflagrations de bruit digital et les odyssées bleepy funky house hardcore qu'il troussait avec Christophe Monnier (Bleep to Bleep et The Jag) détonnaient à cor et à cri: grand bien en faisait à la house de France d'ailleurs qui retrouvait un semblant de vigueur et de radicalité au moment où elle commençait à sérieusement se paumer dans la purée.
Pour le sous-texte exterminateur, en revanche, on se trompait. Ce qu'on prenait pour du bruit et de la fureur avait plutôt à voir avec une dévotion totale au son dans toutes ses couleurs, toutes ses matières et à tout ce qu'il peut faire à à nos corps, à nos coeurs, à nos âmes. L'Issakidis qu'on a découvert 15 ans plus tard, à la sortie de son premier solo Karezza, est même tout le contraire d'un terroriste ou d'un pousseur de bouton sautillant: plutôt un maître à penser la musique et bien plus encore, dont la pratique artistique est entièrement intégrée à une ascèse de vie scrupuleuse et intense.
D'origine grecque, élevé dans l'industrieuse Calgary par des parents ayant fui la Dictature des colonels, le petit George a eu la chance d'arriver à l'adolescence pile au moment où la house de Chicago commençait à travers les Grands Lacs. Aussi, c'est tout naturellement que ce fan précoce de Throbbing Gristle a commencé à fréquenter les fêtes (désormais mythiques) du Boy et du Palace à son arrivée en France à l'âge de 19 ans. Débarqué pour étudier à la Sorbonne, Issakidis n'a pas traîné à abandonner les études helléniques au profit des nuits blanches avec la TB-303: tant mieux pour la musique électronique française qui a gagné avec le Canadien l'un de ses plus singuliers et virtuoses beatmakers.
Après une rencontre avec la bande du fanzine eDEN (Christophe Monier, Christophe Vix - futur fondateur de Technopol, le duo de graphistes M/M et Loïc Prigent), Issakidis devient membre actif de la French Touch en ébullition; et dès le premier disque officiel des Micronauts ("Get Funky Get Down" en 1995, connu pour son remix furieux de Daft Punk), la tonalité est fixée: un peu plus dure, un peu plus funky et un peu plus intense que ce que fait, en gros, toute la concurrence.
Le Canadien s'y tiendra toute sa carrière. Disparu des radars mainstream à peu près au moment où il sortait son premier maxi solo (l'immense Naked EP, sortit sur Artefact en 1996), Issakidis a fondé son label (Republic of Desire) et pris le maquis expérimental et surtout entrepris de se trouver en entier. Entre voyages initiatiques, bangers lâchés au compte-gouttes et collaborations (très) ponctuelles avec ses plus proches amis (Speedy J, Midnight Mike), le Canadien n'a pas enregistré beaucoup de musique pendant les années 2000 mais il a pour ainsi dire fini sa formation. Le George Issakidis qu'on a rencontré en 2013 via le définitif Karezza n'est plus seulement un musicien indispensable, mais un type en tous points fascinant. On vous laisse avec lui.
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