Pour un jeune homme s'annonçant en tant que James Place, le New-yorkais Phil Tortoroli connait paradoxalement quelques difficultés à se situer. Selon lui, son premier véritable album Living On A Superstition rejoint les primes épreuves de Silent Servant. James Place se voit trouble.
On a connu James l'an dernier sur An Entire Matchbook At Night où il domptait cette race de house à la 606, hostile voire mal aimable chez Opal Tapes. L'objet est remarquable, comporte cette nausée des nuits blanches devenues trous noirs, idéale pour vieillir sur bande cassette. James est à sa place sous le toit de Stephen Bishop, boss d'Opal Tapes, tant il épouse la marque de la fabrique, son sordide ordinaire, sa house frelatée, torse et dont le cachet comme la subtilité se dégagent de la malfaçon.
Que cet animal ressurgisse aujourd'hui sur le décidemment très inspiré label mexicain Umor Rex et derrière un artwork bauhaus new yorkais, peut-il nous inspirer ? Naturellement, de la techno à l'âme lourde, crispée dans l'indus. Ici, c'est nous qui le voyons trouble. À raison. Entre minimalisme typiquement américain et musique cosmique, James Place déroule, dans une grande gaze, une contemplation du paysage urbain, dynamique dans son inertie, comme rythmée par l'architecture rigide de New York. C'est d'ailleurs l'histoire de l'album, enregistré perché à Manhattan dans ce qui, selon l'auteur, s'apparente "plus à une prison qu'à un appartement" situé à un treizième étage déguisé en quatorzième par superstition.
L'histoire officieuse, elle, retient une œuvre à l'anxiété débonnaire marquée par l'absence, autant celle d'un proche (Tortoroli y aborde une rupture) que ce sentiment d'une ville vidée de ses êtres. Finalement Living On Superstition n'est pas un album urbain mais une œuvre d'isolement urbain, comme l'induit le morceau "Behind Windows", petite chose contemplative cuvant son spleen à sa fenêtre. Un prétexte pour traverser des thématiques proches de cet artwork que l'on croirait cahier des charges. Cette (post-post) techno à texture, souvent glabre, filtré et éclairée à la bougie, explore, elle aussi, toutes les nervures comprises entre le blanc et le gris, traversant des fragments de ville dont seuls les angles droits maintiennent une harmonie.
Supervisé par M. Geddes Gengras – proche de Sun Araw et grand ascenseur céleste dont on vous a parlé quelques fois - on voit mal où, dans ce premier LP, est la techno à cran d'arrêt et l'adrénaline excessive d'un Silent Servant. Si ce n'est l'artwork. Et s'il nous rassure de retrouver des visages familiers, nous nous tournerons vers ceux des anciens colocataires d'Opal Tapes, notamment le changement dans la répétition d'un Huerco S. ou les illusions d'optiques de Wanda Group. D'ailleurs, tout bien réfléchi, James Place ne s'apparente pas tant aux camarades susnommés qu'aux souvenirs que l'on conserve d'eux. Un jeune homme délicat à (re)situer.
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