Si l'on devait parler de l'influence de Dominique Grimaud sur la couleur de la musique avec de l'électronique chercheuse dedans (ou rock électronique comme on disait avant), on utiliserait probablement des mots de Maurice Blanchot qui écrivait que «l’influence d’un art est souvent fort étrangère à la connaissance qu’on en a ou même à l’originalité qu’on lui attribue. Il y a parfois dans une époque quelques vers ou quelques pages ignorés de presque tous qui exercent une action dont personne n’est d’abord conscient. On la subit sans en découvrir l’origine. On la propage, alors qu’on l’ignore.»
Cette nouvelle réédition de Vidéo-Aventures, groupe fondé autour de jolis bleeps du Synthi AKS de Grimaud (réédités tels quels en 2011 sous le nom de Oscillations ), tombe ainsi une fois de plus à pic dans notre temps de redécouverte perpétuelle des classiques underground qui résonnent avec l'air du temps. Le deuxième album du groupe, Camera (In Focus) Camera (Al Riparo) , sorti en 1984, a en effet déjà été réédité par Spalax en 1997, à un moment où on ne parlait pas encore trop de synth-kraut-psych ou de minimal wave mais plutôt de post-rock et d'electronica.
Chaque génération aura ainsi sa réédition de Vidéo-Aventures, et on se rappelle que celle de 97 avait plutôt bien fait son boulot d'influence inconsciente dans la redécouverte des origines cachées des expériences volontiers avant-garde de Stereolab, Add N To X, Tortoise ou même Air, qui inventaient alors le présent en s'affranchissant, comme Vidéo-Aventures, de pas mal de règles en vigueur.
Un présent déjà imaginé, donc, au début des années 80 dans la cave de Dominique Grimaud et Monique Alba, musiciens libres et joueurs qui s'amusaient à chatouiller des synthés, des batteries, des sax, des trompettes, des pianos et des guitares avec leurs amis Jac Berrocal, Guigou Chenevier, Sophie Jausserand et Cyril Lefebvre. La techno-pop bizarroïde, résultat de ces sessions d'enregistrement, qu'on entend dans les deux albums de Vidéo-Aventures, trouvera d'ailleurs un écho assez inattendu à leurs sorties. Musique pour garçons et filles se classera même en 1981 dans les charts anglais : on a beau chercher, on n'arrive pas à trouver de disques aussi étranges dans des charts en général aujourd'hui.
Mais bon, passons. Il est beaucoup plus amusant d'imaginer que la redécouverte de Vidéo-Aventures, via les rééditions, à peu près tous les 20 ans donc, pourrait correspondre à des moments charnières de l'assimilation par la pop des musiques expérimentales (j'exagère et j'en profite vu qu'on me donne la parole). Ecouter Camera (In Focus) Camera (Al Riparo) de Vidéo-Aventures en 2016 permettrait ainsi, en plus d'écouter un super album, de mettre en perspective la fin de la redécouverte des synthés-analogiques-plus-vieux-qu'eux chez les jeunes (qui se mettent maintenant aux sautes d'humeurs aléatoires des synthés modulaires) et les différentes actions de déformatage en règle qui flotte dans l'air de la pop depuis quelques années (et rappelle que ça date d'avant James Holden, Broadcast, Aquaserge, Gablé ou Flying Lotus par exemple).
Pour tous les foufous libertaires des années 60 à aujourd'hui, la bande à Grimaud (Pierre Bastien, Gilbert Artman (Lard Free), Jac Berrocal, Patrick Vian (Red Noise), Chris Cutler (Henry Cow), Guigou Chenevier (Étron Fou Leloublan), Pascal Comelade, etc.) reste une sorte d'exemple de liberté (et souvent de rigolade sincère) qui, en plus de forcer le respect, a toujours emmené la musique dite expérimentale vers quelque chose d'enthousiasmant et dont les trouvailles restent encore aujourd'hui résolument modernes – ou juste « fort à propos » si vous préférez.
Tirez de ça la conclusion qui vous conviendra, mais par pitié évitez de penser « c'était mieux avant » ou encore « depuis 35 ans on n'a rien inventé ». Non, il n'est vraiment pas question de ça ici. Vidéo-Aventures n'impose rien d'autre qu'un réel plaisir d'écoute pour les oreilles mélomanes, et pour les oreilles de musiciens, une fougue communicative qui donne envie d'essayer de faire des trucs à son tour. N'importe quel truc d'ailleurs. Et c'est ça qui est bien. Dominique Grimaud est un passeur, sa musique lui ressemble, et je vous invite à jeter un oeil à son livre L'Underground Musical en France au Mot et le Reste. Et vous pouvez même commencer par son parcours, ici, c'est passionnant. Et vous procurer cette belle réédition chez votre disquaire préféré, ou directement auprès de Knock'em Dead Records.
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