Lil Yachty
Lil Uzi Vert, Lil Yachty, Desiigner, Young Dolph, OG Maco... Au-delà de leur goût pour les coupes de cheveux colorées, les jeans slims et la codéine liquide, ces rappeurs ont en commun d'être nés après 1990 (voire 1995), de n'avoir pas connu "l'âge d'or" du hip-hop et de refuser de s'en excuser. Ils revendiquent plus Atlanta et Houston que Los Angeles et New-York, se sentent plus proches de Jeezy et Lil Wayne que de Biggie et Tupac et forment la scène étrange et protéiforme que les médias rap américains ont baptisé mumble rap.
On doit la première occurrence "officielle" de ce terme à Wiz Khalifa au micro de la radio HOT 97. Interrogé par l'animateur sur cette manie de la nouvelle génération de poser couplets et refrains souvent à la limite de l'intelligible, Wiz répond : "On appelle ça le mumble rap. C'est pas un manque de respect pour la jeune garde. Ils n'ont simplement pas envie de rapper." Si dans la bouche du rappeur de Pittsburgh le terme désigne uniquement la vague des MC's de moins de 25 ans en Lil et en Yung, il a rapidement pris dans la conversation rap outre-atlantique une signifcation plus large qui englobe autant la drill de Chicago que la Trap de Houston ou les bizarreries sans frontière de Lil Yachty et Lil Uzi Vert.
Young Thug
Avant de faire des distinctions d'âge, de genre ou de région, le mumble rap c'est, littéralement, le rap qui se marmonne. Comme souvent dans le hip-hop les raisons à cette sous-articulation sont nombreuses, un peu bizarres et souvent contradictoires.
L'argument formel : ce défaut de prononciation des consonnes, doublé d'un usage de plus en plus maîtrisé de l'auto-tune, permet à la voix de se fondre parmi les autres pistes du morceau, au même titre que les hats, la ligne de basse ou les nappes de synthé – Young Thug maîtrisant particulièrement l'art de faire de sa voix un élément indissociable des prods de London On Da Track et de Metro Boomin qu'il honore de ses hullulements cryptiques, abolissant quasi totalement la distinction flow / instrumental.
Autre piste. En évitant l’écueil du papier déjà écrit 500 fois sur les ravages des opiacés dans le hip-hop de Chicago à la Nouvelle-Orléans (et du Nord de la Beauce au Sud des Bouches-du-Rhône, les Français suivent toujours le grand cousin américain à une ou deux décennies près) on note que les séjours à répétition de Wayne à l'hôpital, le meltdown de Gucci Mane sur twitter, le "Codeine Crazy" de Future ou les confidences de Gibbs quant à son passé d'addict montrent que les drogues autres que l'herbe et le Henessy ont de plus en plus droit de cité dans le rap. Thugger, Future, Wayne et leurs copy cats seraient tout simplement trop scotchés au sirop pour articuler correctement. La drogue ne faisant plus partie de l'imagerie associée au hip-hop mais intégrant carrément le processus créatif.
Young Dolph
Abus d'opiacés, nouvelle technique vocale, effet de mimétisme... En définitive ce qui ressort du mumble rap c'est qu'il symbolise l'éternel fossé entre vieille garde conservatrice et jeunes loups semi inconscients. Le terme a d'ailleurs commencé à être repris partout au moment du diss par réseaux sociaux interposés entre Young Dolph et Pete Rock en septembre dernier.
Le producteur boom-bap, l'ex Brand Nubian Lord Jamar, les fans de l'Entourage et tous les défenseurs du "vrai rap" reprochent en vrac aux mumble rappers la pauvreté de leurs instrus, la vacuité de leurs textes, leur mépris un peu trop ostensible pour le sacro-saint héritage east-west, leurs silhouettes trop efféminées... En un mot, l’abêtissement - voire le dévoiement - du rap des origines. Puristes contre innovateurs et jeunes contre vieux dans une ambiance un peu Bataille d'Hernani sur beats de 808. Réaction d'OG Maco au procès en légitimité qu'on lui intente : "Quand le rap est arrivé, les vieilles têtes du rock, du blues et de la pop n'ont rien capté à ce qu'il se passait. Que les vieilles têtes du rap ne s'attendent pas une seule seconde à ce qu'on prenne leur avis en compte."
OG Maco (à l'époque où il avait encore deux yeux)
La jeune génération mumble rap arrive 20 après les dynamiteurs Kanye, Pharell, Wayne et Andre 3000, 10 ans après le pop rap de Cudi, 5 ans après les expérimentations régressives de Odd Future. Les icônes globales avec lesquelles elle a grandi ne s'appelaient plus Michael Jackson et Whitney Houston mais Jay Z, Eminem et Beyonce. Pour Lil Yachty ou Rich Homie Quan la distinction pop / hip-hop, rue / club, bidons / guidon n'a en fait tout simplement plus cours.
Et comme pour n'importe quel item de la pop-culture, la nouvelle génération hybride son rap avec tout ce qui lui tombe sous la main, sans se soucier de la légitimité rue ou hip-hop de l'objet en question, de l'esthétique vaporwave branchouille au toasting jamaïcain, jusqu'au cross-dressing.
C'est aussi une façon de prendre, consciemment ou non, le contre-pied exact de la démarche hyper respectueuse de Cole ou Lamar qui défendent une vision plus en phase avec l'héritage hip-hop, preuve que mumble rap, drill ou trap ne sont pas synonymes de disparition corps et bien de toute l'histoire du mouvement. Juste que le genre n'est plus une discipline aussi dogmatique qu'elle a pu l'être, montrant ainsi le glissement du hip-hop d'une culture de codes à une acceptation par la pop culture généralisée et assimilable par tous.
Il y a 8 ans, une dispute quasi similaire à celle qui a vu s'écharper Young Dolph et Pete Rock avait opposé Soulja Boy à Ice-T. Echange de vannes et de menaces par vidéos interposées, prises de parti, tribunes diverses et variées ... Une fois n'est pas coutume, Kanye West avait mis tout le monde d'accord, on le citera donc in extenso : "C'est quoi être hip-hop? C'est faire partie de la bande des wannabe puristes qui recyclent les mêmes vieux samples en faisant semblant d'être resté en 1996 et qui haïssent tout ce qui sort ? Pour un gamin de 13 ans l'âge d'or c'est maintenant !" En résumé, une fois arrivée en âge de rapper, la génération des enfants qui ont grandi avec Young Thug, Lil Uzi Vert et Rich Homie Quan feront sans doute de la musique que ces derniers trouveront super rincée. Et les petits jeunes répondront en faisant semblant d'ignorer qui sont tous ces mecs en Lil', Young et Yung, dreads vertes et jeans taille 12 ans. Comme l'expliquait un autre sudiste doté d'un fort penchant pour les substances psycho-actives, time is a flat circle.
PLAYLIST : LA FAMILLE MARMONNEUSE
Les petits neveux turbulents :
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