Si quelqu'un se fade un jour futur l'Histoire de la house des années 2010, il faudra qu'il regarde en détails l'évolution progressive du Producteur Lambda du genre et les diverses significations du glissement socioculturel qui se cache derrière. Autrefois débarqué d'une minorité modeste, acquis à la cause à 200% et venu aux platines et aux machines par la danse et la sacrosainte "Scène", le producteur de house pensait moins sa musique qu'il ne la laissait diriger son existence - comme d'autres la foi ou la politique. En propos comme en silhouette, il était facile à reconnaître, facile à décrire, facile à romancer. Son successeur des années 2010 (celui qui sort ses maxis sur L.I.E.S. ou 100% Silk, surtout), lui, est insaisissable: il vient de partout et nulle part, il fait de la dance music en même temps que du hardcore ou des jolies chansons, et il est arrivé au genre par les disques, les livres ou Internet. Il porte les mêmes fringues que vous ou moi. Il mange les mêmes légumes bio. Il boit le même vin nature. Il achète les mêmes rééditions.
Catalogué "gentleman de la house de Brooklyn" sur Dazed Digital, Bryce Hackford est un peu un prototype de ce Monsieur tout le monde qui se cache derrière la plupart des nouveautés house K7 dont on raffole partout en ce moment (souvent à juste cause). Blanc-bec propre sur lui, formé dans un groupe d'avant-cacapoum étrange (Pearl Necklace), fan comme toi / comme moi de Brian Eno, Arthur Russell, Mr Fingers et Aphex Twin, notre Brooklynite s'éparpille sans cesse sans que jamais un Puriste se lève dans l'assistance pour lui demander où il a trouvé sa carte de street cred. Pire, son Fair de premier album est un vrai miroir aux alouettes qui, passés les beats de la face A, la B, la C et la D, n'est que drones synthétiques, arpèges abîmés et volutes de DX7 lunaires à la Discreet Music. Pourquoi alors le ranger du côté de la hipster house qui rêve aux raves en t-shirt American Apparel?
La réponse tient toute entière dans "Another Fantasy", la bombtrack qui oubre l'album et qui a, il nous semble, l'étoffe d'un vrai tube: boucle funky filtrée qui ne lasse pas, beat rouleau compresseur, processing osé mais pas trop dangereux, le truc rappellerait presque les-grands-morceaux-de-Daft-Punk-avant-Homework ("Musique", "The New Wave"), le vernis lo-fi contemporain en plus. En d'autres temps, avec un son un tout petit peu différent, le truc aurait pu sortir sur Henry Street Music ou Strictly Rhythm, être produit par Armand Van Helden, et ça n'aurait choqué personne. La conclusion de tout ça? Le Producteur de house lambda des années 2010 ne ressemble à rien mais il lui arrive de faire de la méchante musique.
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