C'est peu mais c'est infiniment précieux: Karen Gwyer est la meilleure pondeuse de titres de morceaux du moment. Pendant que la grande majorité des renards des undergrounds techno, house, drone, ambient et noise continuent à titrer leurs bidules "Insomnia", "Lost", "Voices" ou "Movement", la sound-artist américaine profite de chaque nouveau morceau, chaque nouvelle galette pour sortir ses plus beaux mots rares, images étranges, allitérations gouleyantes et autres assonances inspirantes. Il suffit de se balader sur sa page Discogs pour en profiter: "Jajja Uses Ancestral Spirits", "Pikku-Kokki", "Hippie Fracca", Kiki The Wormhole, "Nail Bars Of The Apocalypse", "Missisissipippi"... Pour un peu, on aurait presque l'impression de parcourir le catalogue de la plus jolie maison d'édition de poésie de Californie ou le rayon "littérature expérimentale" de la plus belle librairie de Cambridge, Massachusetts.
Ceux qui nous lisent au quotidien comprendront aisément pourquoi nous autres vils useurs de vieux mots et expressions trépassées (on reçoit régulièrement des lettres d'insultes à ce sujet) sommes si sensibles à cette particularité indéniable de l'Américaine; surtout, il faut souligner à quel point la démarche épaissit chacun de ses gestes et chacun de ses morceaux, pourtant déjà fort complexes et épais en soi: en quelque sorte, tous ces beaux mots et ces images impossibles permettent d'y voir plus clair sans rigoureusement rien expliquer.
Chez les représentants de cette race soi disant en voie de disparition qu'on appelle "les lecteurs de livre", on a un mot pour ça: la littérature. Quel autre terme utiliser effectivement pour qualifier un 3 titres de post-techno clapotante mystérieusement titré Bouloman ("Bouloman"!) dont les tracks sont respectivement appelés "Keisa Kizzy Kinte" (en écoute ci-dessous), "Brunch Music" et "Shit List With Kid"? Alors en attendant de rencontrer Gwyer pour lui causer Finnegans Wake, Lewis Carroll, Alasdair Gray ou Alphabetical Africa, on s'est dit que ne nouveau maxi au titre décidément interpellant (Bouloman?!) offert au décidément passsionnant label Nous Disques était l'occasion inespérée pour en parler. Et si vous trouvez qu'on en fait trop sur le sujet, tant pis pour vous, tant pis pour votre bibliothèque.
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de nos cookies afin de vous offrir une meilleure utilisation de ce site Internet.