Aucun critique censé ne le répétera jamais assez, la rencontre de la musique classique (canal historique, 1567 - 1920) et de la musique électronique est une très mauvaise idée. Sur l'échelle des mauvaises idées motivées par les mirifiques avancées techniques de ces trente dernières années, il est même très possible que ça soit la pire de toutes. On ne parle pas des expériences plus ou moins foireuses, plus ou moins fantastiques qui ont lieu toutes les semaines dans les sous-sols de l'IRCAM à la suite de Varèse et Stockhausen, ni des adaptations fantasques de Walter Carlos ou Isao Tomita pour synthés modulaires. Non, on pense plutôt à toutes ces vilaines tentatives symphoniques qui éludent kitschement un demi-siècle d'avant-gardes et remontent direct à la Grande Musique pour tenter le casse chez les officiels de la culture: sans même compter tous ces moments embarrassants ou des cordes se sont tapé l'incruste dans des mauvais disque d'electropop, on pense aux tentatives poucraves de Jeff Mills avec un orchestre philarmonique, aux collages précieux - chichiteux du Mexicain Murcof, au Best Of de Carl Craig re-arrangé par l'enfant prodige Francesco Tristano.
Curieusement, quelques artisans plus humbles et vraisemblablement moins mal intentionnés oeuvrent pour faire exception à la règle: le Gas de Wolgfang Voigt, Ravel et Moussorgski revus en biais par Carl Craig et Moritz von Oswald, ou le remarquable Shenzhou de Biosphere, dans lequel le Maestro de l'ambient septentrional transfigurait les oeuvres orchestrales de Debussy en combustible à rêves et fréquences graves.
Quelques mois seulement après le prescient N-Plants, le Norvégien retente le coup en catimini avec Monteverdi, Italien révolutionnaire et premier père de la musique baroque. Bricolé avec des fragments de son opéra L'incoronazione di Poppea (dont le libretto est célèbre pour être l'un des tout premiers à avoir tapé dans l'histoire des hommes plutôt que dans celles des Dieux de l'Olympe), le disque n'égale pas Shenzhou en magnificence mais réitère sans souci son inexplicable miracle formel et onirique. Le modus operandi est bien sûr aussi minimal que le coup de couteau d'un maître sushi. Pas franchement réputé pour son amour de la grandiloquence et de la crème chantilly, Geir Jenssen simplifie un peu plus encore son geste minimum - mise en boucle, mise en filtre, mise en cadence - et s'arrête pile-poil au seuil entre le sublime et le foutage de gueule, ce qui suffit largement à faire jaillir une lumière nouvelle. Avis à tous les électroniciens sans le sou qui souhaiteraient passer vite fait bien fait à l'âge adulte pour faire plaisir à Papa-Maman, pas la peine de faire la sortie des conservatoires ou de draguer la violoncelliste qui habite de l'autre côté du couloir. Less is More, toujours, encore et encore.
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