Il est communément admis que l’été est un tiers monde culturel pour quiconque tient à s’aventurer dans les nouveautés (voire la nouveauté au sens large) en musique. La chaleur abat et abruti son auditeur et ce qu’on lui soumet s’harmoniserait au même niveau d’idioties.
Chaque année, c’est aussi vrai que faux. Cette année, c’est particulièrement faux. Prenez Helm, artiste sonore britannique édité chez PAN. Il n’y a pas un mois de cela, en pleine fournaise estivale, il s’échappait d’un coin d’ombre pour dresser son désordre olympien, froid et élégant comme le chrome que l’on caresse du bout des doigts. Prenez Vince Staples. Issu d’une ville voisine (Long Beach) de Kendrick Lamar (Compton), il sortait un double album voisin, au storytelling voisin (un bon enfant dans une malsaine cité) et à la force toute voisine. Même Future vient de faire paraître une bonne mixtape (on s’entend quant à ce que bon et mixtape veulent dire apposés l’un contre l’autre), troisième strike dans la même année, et dont la cheville s’articule entre sublime et immonde. On ne vous offre ici qu’un panel très réduit.
Cet été 2015 est aride, cet été 2015 est fertile. Issu de cette même cuisse dodue, M.E.S.H – bête de compétition élevée chez Janus et dont les primes cabrioles furent publiées par la maison de Kouligas – sort un premier LP chez PAN.
M.E.S.H. — Epithet (PAN 66)
Chez Janus, on est «
conspués aujourd’hui, copiés demain ». Voilà ce que (de mémoire) un flyer pour leur soirée berlinoise annonce. S’il est un tantinet présomptueux, il est vrai que ce Janus aux deux visages détonne. Capable de faire converger deux visions opposées – chose valable aussi bien pour Lotic que Kablam ou M.E.S.H – le collectif propose des sets où l’on jurerait voir des majorettes en parade sur de la musique concrète. Une vision parmi tant d’autres.
Et une vision qui n’est pas celle de
Piteous Gate. Bien que si on y trempe le doigt, on y sentirait une substance similaire. De très loin, ce premier album semble raconter la brutalité de la vie cellulaire vue à l’échelle du gigantisme industriel. Le verre pète et l’acier craque, l’hiver est nucléaire, la neige brulante. C’est synthétique à s’en donner de l’eczéma. En somme, du sound design sculpté dans un bloc de dystopie à gros budget.
Si votre mémoire auditive a besoin d’être chatouillée, glissons simplement ceci au milieu de nulle part : Arca et Fatima Al Qadiri se disputent une scie circulaire.
M.E.S.H. — Thorium (PAN 66)
James Whipple mérite que l’on s’attarde sur son cas
. C’est un artiste bien avec son temps. Chez lui, l’hirsute, le chaotique et l’accidenté se posent en points cardinaux pour qu’œuvrent le grime élastique, le Jersey éparpillé et le hip hop dégénéré. Des styles qui n’en sont plus, réduits à un code, un tic, une mimique, une couleur, tout ça décoché dans une même flèche. James Whipple est un enfant de cette globalisation du langage esthétique, où l’on constitue son vocabulaire de tout ce qui fera mouche par le monde. Les mots qu’il emploie nous sont familiers. Mais personne ne les prononce ainsi.
Piteous Gate mérite que l’on s’attarde sur son cas. C’est l’œuvre d’un individu en froid avec son époque. Ses collages d’un surréalisme curieusement guerrier sont autant de stygmates d’un grand drame couvé. La force du grand spectacle de
Piteous Gate est nourrie des visions de Whipple sur l’état du monde. Dans
le portrait que lui consacre Fact, il se dépeint lui-même comme un « récepteur de la surcharge d’information ». Et (en transversale) s’établit comme un Californien qui a poussé sous l’étrange lumière de l’IDM et qui tient à restituer l’effet loupe qu’à cette masse obèse d’informations en quelques vignettes à observer comme une série de peintures. Ici réside la vulnérabilité terrible de
Piteous Gate. Cet univers fractionné, polarisé, ses contradictions morbides, ce tumulte d’où jaillit le sentiment que tout peut être balayé… Tout ça vient moins d’une œuvre de science-fiction que d’un esprit suant l’excès de drames humains auquel il est soumis. En peu mais en bien : cet été 2015 s’avère aussi fertile parce que son premier semestre fut décevant.