Nous qui avons tant pesté contre l'inconséquence actuelle du soi disant rock soi disant indépendant, contre son arrogance qui continue à faire porter sa voix en porte à faux total avec son manque de créativité et son allégeance aux lois du marché discographique, ne pouvions décemment pas rester tiède face au nouvel effort de la compositrice britannique Anna Meredith. En bons bâtards dubitatifs, nous avions pourtant pensé en première instance à des mauvaises choses : avant-garde Gap©, Steve Reich Sundance©, Battles pour Spring Breaks avinés, Laurie Anderson pour raouts EDM...
Mais ça serait se voiler un peu nos faces de tristes snobs adeptes du dark ambient au petit déjeuner. Meredith a un talent dingue et ça s'entend à chaque seconde de Varmints, son premier album de musique pop à nous parvenir au bout de trois années de frustrantes tergiversations.
Anna Meredith - R-Type
04:44
Découverte par le grand public avec "
Unicron" et "
Nautilus", tueries mécanico-spiralo-psychotropes stupéfiantes à se décrocher la mâchoire devant l'écran du laptop, la musique d'Anna s'exprime par des biais musicaux difficiles à mettre en mots. Il y est question d'emphase, d'architecture, de la toute puissance folle et déceptive de la forme. On y entend souvent des dynamiques et des jeux de contraste qui ont plutôt l'habitude de s'exprimer dans la dance music la moins finaude, celle qui ne cesse de faire monter la tension artérielle et d'exploser en
drops trop spectaculaires pour qu'on la tolère du côté des mélomanes. On y retrouve aussi des structures complexes appréciées par plusieurs avant-gardes, dont la
new music américaine de la fin des années 70 et le math rock flamboyant avec lequel les gars malins de Battles ont fait la révolution pop que l'on sait. On y reconnaît également quelques disques fétiches peu connus ou un peu oubliés, tels l'ébouriffant
Ann Steel Album de Roberto Cacciapaglia, le
Point de Cornelius ou le
Skylarking de XTC. On y devine enfin des fragments de styles d'écriture pop qu'on pensait incompatibles avec toute ambition progressiviste :
l'indie pop gaélique des années 80, Sting et Spandau Ballet, voire Nirvana (si, si) sur l'adorable "Taken".
ANNA MEREDITH - Taken (Official Video)
04:57
Sur le papier, on soupçonnerait presque Anna Meredith, compositrice chevronnée et personnage public bien connu du grand public anglais (elle a composé quelques pièces pour le très populaire
Last Night of the Proms de la BBC et servi de mentor à Goldie dans le programme de télé réalité
Classical Goldie) de picorer dans les genres et les écoles par pur calcul de composition, intérêt pour les formes détachées de toute signification et mise à profit des effets. Mais à l'écoute des onzes montagnes russes qui composent
Varmints, on discerne surtout la grande cohérence esthétique et la grande efficience
émotionnelle du langage tout nouveau que la Britannique s'est créée en accomodant tout ça. Ou pour le dire plus simplement, Anna Meredith touche souvent très juste avec ses formes très étranges.
Seule ombre à ce tableau couvert de
partitions graphiques multicolores qu'il nous faut montrer du doigt par honnêteté intellectuelle, c'est qu'Anna Meredith ne fait vraiment pas dans la dentelle et sa recherche un peu systématique du "
wow effect" en laissera forcément quelques-uns sur le bas côté. Rien de plus naturel.
Varmints est emphatique, ostentatoire, un peu vulgaire. Souvent arrogant et un peu trop rutilant. Mais pas plus, ni moins que
la dernière prod de Metro Boomin pour Future ou
le dernier Charli XCX produit par Sophie. En d'autres termes,
Varmints donne dans la pop progressive, pop avant tout, pensée pour maintenant et pour tout le monde. Et le disque nous arrive, c'est à noter, dans un monde dépeuplé des Neptunes et de My Bloody Valentine, où nos modèles d'invention (Hudson Mohawke ? Kendrick Lamar ? Jeanne Added ?) sont surtout de tristes ravaleurs de façade de tristes choses d'avant.
Varmints est disponible partout, en physique et en digital, via Moshi Moshi et en écoute ci-dessous.