LES SAVY FAV-ATP 2013
Quand en 2012, Barry Hogan, fondateur du festival All Tomorrow's Parties (ATP) annonce la mise en liquidation de son projet, l'émotion est grande. Citant une dette de 2,6 millions de £, le promoteur anglais traîne de sacrées casseroles financières et humaines, et surtout des bruits de couloirs peu reluisants (paiement en cash, sous le comptoir, ou même par paypal, des agents d'artistes programmés). Après quatre ans de magouilles et d'annulations, la nouvelle est tombée hier : ATP, cette fois c'est bel et bien fini.
Avant de critiquer, rappelez-vous quand même que c'est ATP qui mène aux reformations de Slint en 2013, et de Sleep et The Jesus Lizard en 2009. Les festivaliers, logés dans des petits bungalows, bénéficient d'une sorte de winter break de luxe et peuvent jouer aux boules avec Nick Cave ou voir Shellac jouer tous les jours pendant le temps du festival. ATP devient un monde à part et, peu à peu, partout dans le monde, la rumeur enfle: "c'est le meilleur festival que l'on ait jamais vu".
NICK CAVE & BARRY HOGAN
Barry a la folie des grandeurs. Il monte des ATP Festivals un peu partout dans le monde (USA, Japon, Australie), crée un label, et produit des soirées. De loin, la réussite semble totale et redonne un peu d'espoir dans un monde de la musique qui vascille à l'orée des 2000's. Les experts (et les concurrents) sont plus perplexes : impossible pour les autres festivals de s'aligner devant les cachets exhorbitants offerts aux artistes. Inenvisageable de s'aligner sur la cote de sympathie de Barry, l'ami des héros de l'underground, qui fait débouler Autechre ou Sonic Youth en un coup de fil, et file sans tortiller une carte blanche de programmation à Matt Groening, le créateur des Simpsons.
Rétrospectivement, la technique de Barry Hogan ferait presque penser à celle de Bernard Madoff, l'escroc qui n'a jamais placé l'argent de personne. Explication : en produisant en flux tendus, événements sur évenements, le producteur de spectacle anglais continue de rentrer de l'argent en permanence. Pas besoin de penser rentabilité quand tu paies les cachets des artistes de l'année écoulée avec les fonds de l'année à venir (billetterie, sponsors etc...). Dans toute cette histoire, les vrais perdants, ce sont les agents des groupes qui se retrouvent à avancer la moitié, voire plus, des sommes colossales promises par Hogan aux groupes, tout en attendant qu'ATP les rembourse. Ce qui prend quelques mois, puis un an, puis deux, etc.
Peu à peu, l'entourage des artistes tente de les dissuader de retourner jouer à ATP, mais le mal est fait. La mythologie du festival est indéboulonnable, et à juste titre. Même si les économies de bouts de chandelle, faites avec le temps par les promoteurs de l'évènement, pèsent un peu sur l'ambiance, le rassemblement reste bien au dessus de ses concurrents. En gros : on ne dit pas non à ATP, on ne dit pas non à Barry Hogan. Ce dernier annonce la fin du projet ATP en 2012 et revient pourtant à la charge dans la foulée avec des évènements un peu partout dans le monde. Et là, peu à peu, c'est la fin des haricots :
- "ATP Jim O' Rourke", annulé au Japon (et tant pis si les fans européens et américains s'en sont mis pour des milliers d'euros de voyages non remboursables).
- "Jabberwocky", festival mort né à Londres (monté avec Pitchfork et Primavera).
- Cette année, "ATP Drive Like Jehu" avec un Drive Like Jehu pas content, qui s'en prend publiquement aux organisateurs (cf. la photo ci-dessous).
- Et le pompon, à peu près tous les artistes qui se retirent de l'ATP Islande finalement annulé.
ATP, c'est donc fini. Que Barry Hogan parte vivre au fin fond du Brésil, qu'il trouve à nouveau un artiste moins rancunier que les autres, ou qu'il mette la main sur un investisseur qui n'a pas froid aux yeux, l'histoire de son festival raconte en creux ce que sont devenues la musique et avec elle l'entreprise du divertissement. Désormais, les festivals alignent leurs line ups comme les traders leurs bonus de fin d'année. Et le public en redemande. Peu importe si cela signifie demander à un groupe de se reformer pour ne jouer que son album connu, et sortir le carnet de chèque en conséquence. Les festivals, pris à la gorge financièrement, doivent continuer d'aller toujours plus loin pour satisfaire un public d'adulescents nostalgiques des concerts qu'ils n'ont pas vus ados, et de leurs petits frères défoncés à la culture Internet qui ne peuvent pas envisager regarder un concert sans passer par le prisme d'un smartphone qu'ils utilisent pour dénoncer deux minutes de queue aux WC ou un hot dog sans gluten trop tiède. Si toute la musique est disponible sur YouTube, elle doit également l'être IRL pour que je puisse enregistrer ce moment et le partager virtuellement à tout le monde.
Au risque de passer pour de vieux cons, on vous pose la question : comment faire venir 30 groupes qui demandent entre 5 et 250 000 euros et satisfaire un public roi, sans faire de votre festival le Salon de l'Automobile ou la foire à la Saucisses côté sponsors? Notre petite idée : très certainement en s'endettant jusqu'au cou comme Barry Hogan.
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