La musique qu'on entend sur ce disque ressemble un peu, beaucoup à du Stereolab. Je ne crois pas que ni les membres d'Aquaserge ni April March ne prendront ombrage de la comparaison. D'autant que Julien Gasc, membre d'Aquaserge, a officié derrière les claviers de Stereolab pendant toute une tournée et qu'Aquaserge au grand complet ont souvent ouvert pour le grand groupe anglais. Et puis Laetitia Sadier a quelques fois fait l'invitée de marque pour le groupe français. Si on aimait un peu plus la géométrie, on pourrait aussi dire qu'April March l'Américaine est à la chanson française ce que Laetitia Sadier la Française à la pop anglaise: un adorable miroir déformant.
Une fois qu'on a dit ça, on a pas pourtant dit grand chose. Stereolab étant un objet syncrétique sacrément compliqué, dès qu'on cite son nom dans une comparaison, il faut le détricoter. Parlant de ce disque d'April March & Aquaserge, les amonts font un labyrinthe: Gainsbourg, les Yé-yés pétés, White Noise, Can, The Free Design, la musique psychédélique française, la musique psychédélique américaine, la musique psychédélique anglaise, la musique psychédélique italienne, Morricone et toute la famille des compositeurs de gialli qui tuent (Cipriano, Umiliani, Piccioni...), Bacharach et les Beach Boys, Soft Machine, Zappa, Wyatt, François de Roubaix, Michel Legrand, Francis Lai, la troisième vague de la bossa nova, vous êtes encore là? Parce que derrière tout ça, il y a encore trois gros sillons à suivre: ceux d'April March, Aquaserge et April March avec Aquaserge, chacun avec ses propres fétiches, vertus et complexités.
Ce que font le band néo-psychédélique français et l'ancienne vedette de Tricatel ensemble, c'est donc de la math pop ventrue et compliquée au carré, comme celle de Stereolab, Broadcast à leurs débuts, ou plus près de nous, les cousins de Dorian Pimpernel. Surtout, c'est merveilleusement joué, exécuté, poli et emballé, avec la collaboration précieuse de John McEntire de Tortoise, le deuxième sculpteur de son de batterie le plus précieux de Chicago après Steve Albini. C'est de la musique très érudite mais très vivante, qui traite son érudition comme un petit animal retort plutôt que comme un grimoire de plans à recopier à la lettre. Cet album à dix mains (et plus si affinités) est peut-être bien un futur classique, en tout cas un disque à faire écouter aux 98% de la population mondiale qui continuent à penser que la France n'est bonne qu'à pondre des robots et de la turbine. Sortie cette semaine chez Freaksville.
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