Evidemment, l'amour est partout dans le rock depuis la première milliseconde où le rock a existé, et le mot "love" y est sans doute le plus utilisé de tous les mots de la langue anglaise depuis 70 ans (la vaillante encyclopédie en ligne AllMusic en recense 999,844). Mais combien de disques ont osé s'appeler "Love", purement et simplement, à l'exception de tout autre mot?
Après enquête un peu précipitée, on en recense deux: il y a l'atroce megamix des Beatles, compilé pour un spectacle du Cirque du Soleil à Las Vegas et dont le titre a sans doute été conceptualisé par trois algorithmes et une demi-douzaine de cols blancs véreux; et puis il y a le premier album éponyme de Love, mais dans le cas du groupe d'Arthur Lee, la radicalité poétique du geste tenait plus dans le choix du sobriquet que dans celui du titre du disque dont il n'était qu'une déclinaison.
La question qu'on se pose légitimement au sujet du quatrième album de Damon McMahon sous le nom d'Amen Dunes est donc: nourrit-il des ambitions de disque statement? La réponse est: rien n'est moins sûr. De son propre aveu un fieffé traditionaliste un peu vieux dans sa tête, McMahon fait partie de cette espèce en voie de disparition de musiciens qui agissent très volontairement hors du flux, des règles et des cadences de la musique à l'ère d'Internet, et préconisent violemment des habitus d'écoute intenses, prolongés et détachés des problématiques triviales de l'actualité.
S'il a appelé son nouveau disque Love, ce n'est donc pas pour faire un coup mais parce que ça fait sens pour ce qu'il a à y dire et à y faire. En l'occurence, le sésame se trouve tout entier dans la dernière chanson du disque qui lui donne son nom: huit minutes faussement apaisées et étrangement lénifiantes qui rappellent étrangement le "Gimme Shelter" des Rolling Stones et retournent l'essence de l'obscur objet du désir dans à peu près tous les sens, de manière un peu similaire à celle dont Wagner force ses amants tragiques à le faire dans le deuxième acte de Tristan et Isolde.
Bon je vais un peu peu loin en citant Wagner mais il est certain que McMahon, ce type dont tous ses fans attendent en gros qu'il accouche de lui-même depuis son premier CD-R, fait un pas de géant avec Love. Main dans la main avec Efrim de Godspeed You Black Emperor! & co., Colin Stetson et Elias Bender Ronnenfelt de Iceage, il s'est fabriqué un terrain de jeu velvetien-nielyoungien-dylanien à la fois très souple et plus ouvertement authentique qui lui permet de nous parler pour la première fois sans affèterie et sans obstacle de ce qu'il a sur le coeur.
Après des années de "hate music", Love est donc franchement, radicalement, entièrement le premier disque que l'Américain aimerait que le monde aime, franchement, radicalement, entièrement. Ce qui ne veut pas dire que sa musique ressemble à du Springsteen, ni qu'il en fasse des tonnes. Débarrassé de la crasse et du boucan, l'Américain n'a besoin de rien de plus qu'un piano bastringue enregistré de loin, d'un choeur de fausset chanté par trois sacs à bière et d'un vieil écho sur sa voix pour faire passer son message: l'amour, eh ben finalement, tu vois, c'est pas si pire.
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