Voilà deux bonnes semaines qu'on guette un preview ou un prétexte pour vous parler de Ghettoville, le nouveau Actress. Pourquoi? Parce qu'Actress, très légitimement, nous passionne comme il devrait passionner tout le monde, et parce que ça fait deux bonnes semaines qu'on trépigne d'impatience de partager avec vous l'état de merveilleuse perplexité dans lequel nous plonge l'album en dépit - à cause - des écoutes prolongées et répétées de ses mystérieuses - que dis-je, irrésolubles! - beautés.
Resituons rapidement: Darren Cunningham est ce Londonien passablement sociopathe, casanier, enfumé et hyper doué issu du bordel UK house - future bass truc - post-dubstep, co-animateur du label urban-abstract-machin Werk Discs qui est devenu licitement majeur en un disque - le fantasquement formidable Hazyville de 2008 - et dont chacune des sorties depuis (Splazsh, R.I.P., tous ses maxis) nous a donné envie d'inventer des nouveaux mots voire des nouvelles structures grammaticales pour en parler.
Car plus que n'importe quel autre producteur de dance de notre temps, Cunningham est un fouilleur de merde compulsif, un équarisseur de formes maladif, du genre prêt à tout (l'ennui, la désorientation, la laideur) pour avancer. C'est pour ça qu'il nous passionne et qu'on l'adore; c'est pour ça aussi qu'il plaît de plus en plus dans monde de l'Art; c'est pour ça surtout que ses performances en club ressemblent de manière de moins en moins voilée à des batailles rangées avec le public. Le vrai miracle, en fait, c'est la manière dont sa dance credibility, établie pendant les premiers jours de sa carrière quand il mixait de la techno de Detroit, des trucs UKG et du Dance Mania, résiste au temps et à sa tendance de plus en plus prononcée à faire des beats imbitables et à lever des écrans de fumée.
C'est la dernière partie de notre panégyrique: le plus fascinant avec Actress, c'est sa faculté à être toujours écouté par les populaces house, dubstep et garage même quand il fait des disques intégralement mystérieux - et largement dénués de beats - comme son très célébré R.I.P. de 2012. Quelque chose de la dance subsiste incontestablement dans sa musique - à commencer par ses attachements aux boucles et aux charleys qui claquent - mais la grande question qui se pose plus fort à chaque nouveau disque qu'il sort demeure de déterminer quoi. On prévient donc tout de suite ceux qui n'auraient pas entendu Ghettoville en entier et qui attendraient encore la tuerie post-garage que leur a promise à demi-mots le service marketing un peu dépassé de Ninjatune: la question ne s'est jamais posée aussi fort et intensément que dans cet album perpétuellement frustrant qui ne devient un peu palpitant qu'à force d'écoutes laborieusement répétées.
Jouant presque cruellement avec les attentes présupposées de son auditeur - citons celle en d'autres temps, d'autres lieux pas si obscurantiste d'éprouver du plaisir en écoutant un disque - Cunningham louvoie, tergiverse, aplatit, ralentit et déchiquète; il avorte et il exagère; il n'accouche jamais vraiment de rien, et refuse obstinément de soulager ses riffs, ses hooks et ses boucles là où ils grattent. Ce qu'il exhibe en revanche à chaque seconde, c'est sa faculté presque irréelle à trouver de la pertinence, du groove et du beau là où personne ne songerait à aller les chercher, dans un bruit de gong fendu, un dérapage de Lamborgini ou un rayon laser ralentis à 467%, un break débarqué un septième de mesure trop tôt ou une bassline idiote répétée deux minutes de trop. Que le lecteur s'arme à l'avance de courage et de détermination, donc, parce que Ghettoville, en dépit de ces zones dont est incapable de décider si elles tiennent du foutage de gueule ou du génie druidique, est blindé de moments incroyables, dont ce "Rap" merveilleusement titré (le mec a de l'humour) et absolument pas représentatif du disque dans son ensemble. Une seule chose est sûre, on n'écoutera aucun truc plus intrigant et stimulant cette année.
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