Ce matin, comme tous les matins, le réveil a sonné. Le soleil s'est levé. L'eau a coulé du pommeau de douche à la bonne température. La température ambiante dans l'appartemment était exactement celle qu'elle doit être un matin de novembre - à deux ou trois degrés près, parce qu'il fait un peu plus chaud en cette fin d'automne que les autres années. Nous sommes venus au bureau. Ces mots, nous les écrivons depuis notre QG de Belleville, le même où nous recevons, traitons, analysons, relayons l'information au quotidien comme elle nous vient pour façonner, jour après jour, saison après saison, le média qu'est devenu The Drone. A part ça, l'impression est terriblement tenace que tout a changé. La chape de plomb pèse des tonnes. C'est elle qui nous empêche de nous remettre à vivre, à vibrer, à désirer mais dès qu'elle cesse, un instant fugace, de peser sur nos épaules parce qu'on échange une plaisanterie avec un ami ou qu'on écoute un morceau de musique adoré, elle se met à nous manquer horriblement. Ce n'est pas une histoire de culpabilité. Sans elle, impossible de survivre. Impossible de continuer.
Comment reprendre la parole après ce qui arrivé ? Comme relancer la machine ? Comment s'adresser à vous, nos lecteurs, nos amis, nos ennemis, notre famille ? Nous ne le pouvons pas pour l'instant. Nous faisons partie d'un microcosme, d'un enchevêtrement d'amitiés et de relations et plus largement d'un pays qui ont été touchés en plein coeur. Nous mêmes avons été touchés en plein coeur. Nos amis, nos collègues, nos semblables ont été assassinés. Tout le monde autour de nous, autour de vous a été touché. Nous sommes aphones, incapables de penser, déconfits, avides d'informations en même temps qu'à l'affût de tout ce qui nous pourrait nous permettre de nous oublier. Les temps du discours, de l'analyse, de la critique semblent infiniment loin dans le futur, absolument hors de notre portée. Tout ce qui s'apparente à l'actualité semble dérisoire. Indécent. Dégoûtant.
C'est pourtant la raison d'être de The Drone que de considérer cette actualité au plus haut point. De regarder la musique comme elle nous vient, comme elle vit, comme elle évolue, se contredit, s'affirme, se répète, s'invente comme si tous les événements du monde y étaient contenus, pouvaient s'y expliquer. C'est son inextinguible liberté, la joie de vivre qu'elle communique, le mode de vie qu'elle incarne qu'ont visé les bourreaux vendredi soir. Ce silence qu'on nous force à choisir, c'est une punition. Par égard, décence, respect, affection pour les victimes, leurs proches, leurs amis, parce que notre coeur ne bat plus correctement depuis trois jours, nous n'avons pas d'autre choix que de l'accepter. Il nous faut reprendre nos esprits. Nous vous aimons.
The Drone
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