C’est un phénomène à peu près aussi rare qu’un rayon vert au coucher du soleil : ce moment où l’intelligentsia médiatique, d’une voix claire et unanime, adoube un rappeur français. Quand Xeu de VALD récolte 4 clés en lead des pages Musiques de Télérama, qu’on en parle à la Matinale de France Inter après un éloge façon slam – on se refait pas – dans Foule Sentimentale, que Le Figaro gonfle tranquille les dépêches AFP tandis que Le Monde se penche sur ses traumatismes, on se dit que c’est gagné pour le blondin. C’est lui le nouveau Solaar, l’arbre sain choisi pour cacher la forêt. Celui que vous ne pouvez plus ne pas aimer. Comme j’aime bien comprendre ce qui se passe, j’ai isolé quelques critères en écoutant l’album en entier.


Un décalage avec (ce qu’on imagine être) les codes du genre : OK, VALD ne parle que d’argent, de baise et de dope. Mais il s’en moque aussi. D’ailleurs il est triste, flagellateur, désespéré : preuve que l’argent, la baise et la dope ne font pas le bonheur. Un exemple.


Une qualité d’écriture supérieure : OK, VALD manie la paronomase et la rime

polysyllabique comme 99% des rappeurs. Mais il va vraiment vite. Fait des phrases

super malines car hyper compliquées. L’hémistiche n’a aucun secret pour lui.


Des références pertinentes : OK, VALD namedrope lui aussi par charriots les popstars

et les joueurs de foot. Mais il se décrit comme un "Cioran prolo". Evoque Cléopâtre,

Tolkien, l’affaire Théo. Quelques grammes de culture gé dans l’inculture jeune.


La street cred’ en kit : OK, "Désaccordé" ne suscite pas la moindre réaction chez les ados du McDo de Porte de Montreuil (c’est vérifié), mais le mec rappe avec Sofiane et Alkpote. Il vient d’Aulnay-sous- Bois. Avec lui, on se branche à cet autre monde qui nous dépasse, pour un bref, vertigineux instant.


Des prods "modernes" : OK, "electro-rap" ou "rap électronique" sont les termes d’usage suggérant qu’on a quinze ans de retard. Ça veut dire que les sons se situent dans la moyenne trap des 5-6 dernières années. Beats codéinés + mitraille de hi-hats + hooks menaçants ou nappes évanescentes au choix. Altlanta par le manuel, gros dépaysement.


L’autotune parcimonieuse : un peu, pas trop, juste ce qu’il faut pour intégrer l’artifice

impur et se mettre à la page. On va pas passer éternellement pour des réac’.


Une productivité dingue : vous vous rendez compte qu’Agartha est sorti l’an dernier ?

C’est bien la preuve que VALD a un truc en plus. Personne n’est aussi prodigue dans le

rap.


Ne nous faisons pas plus mesquins qu’on ne l’est : toute pénétration des champs sociaux par un objet culturel est sinon une bonne chose, au moins un spectacle fascinant. Ça donne des phrases comme "Chez d’autres, les textes truffés de « salope » et de « fils de pute » nous feraient froncer les sourcils ou bâiller d’ennui". Une comparaison avec Bobby Lapointe. Des questions sur le "blanc virginal" de la pochette qui "fait référence à l’album blanc des Beatles, au postmodernisme et à la tension puisqu’à ce moment-là les Beatles ne s’entendaient pas très bien ". Ce à quoi VALD répond en ricanant qu’il n’a jamais entendu parler de ce disque, sinon il n’aurait pas copié. D’ailleurs, c’est peut-être un zoom sur une tache de sperme. Varrod qui rit, c’est VALD à moitié dans son lit. Ces frottements sont rassurants. Dialogue intergénérationnel, paix républicaine. On maintient le statu quo par l’exception (on kiffe Vald, pas besoin d’écouter ses pairs), on confirme la règle en ramenant l’autre à soi – l’inverse n’est jamais vraiment envisagé. Peu importe que le disque soit paresseux au regard des canons du rap international. Qu’il soit trop long et appliqué à démontrer l’étendue de ses capacités – le syndrome "carte de visite", qui devrait pourtant être derrière lui. Qu’il faille attendre le bouquet final ("Rocking Chair"-"Dragon"- "Deviens Génial") pour entrevoir cette "troisième voie" entre rap de rue et de rap art et essai dont on nous parle avec autant d’émotion. Jul, trop beauf. Hyacinthe, trop branché. MHD, trop jeune. SCH, trop perché. Siboy, trop vénère. Damso, trop… noir. PNL ? Peut-être, mais "impossible de comprendre les textes si l'on n’a pas les codes" (Rebecca Manzoni). Ça sera donc VALD, par acquis de conscience.


Michaël Patin 

Une douche froide chez Ardisson, un adoubement par Fianso et Damso, une place de choix dans le cœur et les playlists Spotify des ados français : en quelques mois et un white album, Valentin Le Du a définitivement confirmé sa place de mec qui compte dans le rap français. 


Et on a envie d’être content pour lui. Surtout depuis l'interview-sortie de route d’Ardisson - ironique venant d’un ex-fan autoproclamé de Kraftwerk et nouvelle preuve que c’est avec les vieux punks qu’on fait les meilleurs réacs, jurisprudence John Lydon. A priori, quand les ex-branchés obsolètes ne comprennent plus rien, c'est que le taf a été mené à bien.


Sauf que. A l’écoute de Xeu, comme à celle d’Agartha, on se rend vite compte que Vald a

les défauts de ses qualités. Et qu’être très malin ne suffit pas à sortir un bon album.


Comme d'habitude avec le MC d'Aulnay, le produit d’appel marche admirablement bien : pochette blanche, clip à tiroirs, titre imbitable et vrai-faux leak, la promo de Xeu est parfaitement rodée, mais ses 17 titres - dont facilement 5 de trop - ne tiennent pas la promesse initiale.


Rappeur de coup(s), VALD a parfois de bonnes idées, de bonnes intuitions, voire quelques bonnes lignes, mais trop peu pour rester intéressant sur les 17 beats trap froids et génériques produits par son acolyte Seezy. Sur Xeu, on ne trouve pas grand- chose que l’on n’ait pas déjà entendu dans la promotion du rap 2010, souvent en mieux. La mélancolie de Damso est plus dense et plus poisseuse, les punchlines absurdo-pop sur plein de syllabes de son mentor Alkpote sont plus drôles, le rap foncedé de ses potes du Patapouf Gang est plus punk, vicieux et direct.


A quelques morceaux près - “Dragon”, featuring trois étoiles de Sofiane, “Désaccordé”, single logique, “Possédé”, trap narcotique - Xeu est long, gris, attendu dans sa forme et plutôt conformiste dans son discours. Plus interminable jour de pluie à fumer du mauvais shit et échanger des banalités que longue nuit d'extase sous MDMA. 


Comme beaucoup d'albums - rap ou autre - sortis ces dernières années, Xeu laisse

l'impression que les briefs stratégiques ont pris plus de temps que les sessions de

studio. La faute n’en revient pas entièrement au rappeur : être assistant-clippeur, D.A et community manager ne laisse pas trop le temps d’écrire de bons morceaux.


Arthur Cemeli